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Libération
Portrait

Véronique Roy : Retenir bon

Cette mère d’un fils mort pour Daech plaide pour que l’on soutienne davantage les familles face à la radicalisation de leurs enfants.

( Photo Laurent Troude)
Publié le 16/09/2016 à 17h12, mis à jour le 16/09/2016 à 17h45

Véronique Roy parle. Beaucoup. Sans s'arrêter. Pressée de se faire entendre. Un flot de paroles pour ne pas se laisser happer par le chagrin. Sa pensée est toujours en mouvement, presque sur le qui-vive. En janvier, son fils Quentin est mort quelque part entre la Syrie et l'Irak. Directrice de clientèle dans un mensuel gratuit de santé, elle était à son bureau, dans le IXe arrondissement de Paris, lorsqu'elle a reçu le message sur WhatsApp. D'abord, elle n'a pas bien compris. Après quelques échanges avec un mystérieux interlocuteur francophone, elle a réalisé. Quentin avait un peu plus de 23 ans quand il est mort pour le «califat».

«On ne sait pas comment. On ne le saura sans doute jamais», lâche sa mère. Avec deux ou trois bribes d'infos, elle échafaude un scénario. Parce que le rien est un gouffre et l'incertitude, mortelle. Son hypothèse est qu'il est mort en kamikaze. «Ils leur disent qu'en mourant de cette manière, ils emmèneront leurs parents avec eux au paradis», raconte-t-elle. Quentin, selon sa mère, était obsédé par le péché, par l'enfer. De sa radicalisation, elle dit qu'elle a commencé ici, en France, mais qu'elle s'est poursuivie, là-bas à Raqqa, en Syrie. Jusqu'au bout, elle a cru, sans doute naïvement, qu'un jour il rentrerait. Sain et sauf. A la mort de Quentin, il n'y a pas eu de certificat de décès. Comme pour la plupart des jihadistes.

Véronique Roy surprend par son énergie. «Le deuil, c'est un combat personnel, dit-elle. Ce qui me fait tenir, c'est l'amour de mon fils. Tout ce que je fais, je le fais pour lui. Et puis aussi pour mon aîné, mes neveux et nièces. Pour les préserver de ce qui est arrivé à Quentin. Je ne sais pas comment vous dire, mais je me sens guidée. C'est sans doute thérapeutique. J'ai perdu mon enfant. Mais je ne veux pas m'enfermer chez moi. On doit aimer la vie, on doit continuer à vivre.»

Un pavillon dans un quartier tranquille de Sevran (Seine-Saint-Denis), des racines catholiques, une foi religieuse légère, sans bigoterie, de gauche, ouverte au multiculturalisme, le père musicien amateur et d'origine haïtienne, une famille presque banale. De la dérive de Quentin, ils n'ont rien vu venir avant son départ clandestin pour la Syrie en septembre 2014. Ou presque. En 2012, il s'était converti à l'islam. «Nous n'avions aucune raison de le condamner parce qu'il devenait musulman», dit sa mère. Deux ans plus tard, elle commence quand même à s'inquiéter. «Je me posais des questions. Etait-ce normal qu'un jeune pratique de cette manière ? Je trouvais cela rétrograde. Et mon fils s'isolait, se marginalisait. Tout devenait compliqué à cause de son intégrisme.»

Entre-temps, Quentin a arrêté ses études de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). Désemparée, Véronique Roy demande, au printemps 2014, un rendez-vous à la Grande Mosquée de Paris. Soupirs du responsable qu'elle rencontre. Pour lui, Quentin a juste le zèle du converti. A l'automne 2014, le premier message reçu de Syrie est un tremblement de terre. Véronique s'accroche encore à ce que dit son fils. Il y est pour «aider les gens».

Comprendre devient un impératif. Pour rattraper le temps perdu, pour ne pas se laisser engloutir. «C'est poser des jalons pour prendre les mesures qui conviennent, affirme la mère. Nous, les parents, on nous renvoie du mauvais côté. On ne juge que le radicalisé, mais il faut regarder en amont, du côté des idéologues, des recruteurs.» Véronique Roy se perd parfois dans les méandres des souvenirs, rattrape son fil, sort son portable, montre des messages. Elle a tout gardé, noirci des carnets, prépare un livre.

Elle a remonté le cours des événements. Quentin est tombé dans les rets d'un éducateur que la famille connaissait, propagateur d'un islam radical. Recruteur présumé de l'Etat islamique, il est aujourd'hui emprisonné après le démantèlement d'une filière à Sevran. «Parmi ces jeunes, peu ont une pensée solidement structurée, surtout lorsqu'il s'agit de convertis, explique Véronique Roy. Ces gens de l'islam radical sont de beaux parleurs. Ils y vont avec beaucoup de douceur, c'est progressif. Ils font partir les jeunes là-bas. Mais eux, ils n'y vont pas. Ils agissent tels des prédateurs.»

Véronique Roy s'est engagée. «Exclure les parents de la lutte contre la radicalisation est aberrant», dit-elle. A l'automne 2015, elle participe à la campagne de clips Stop jihadisme du gouvernement. Elle se fait connaître, témoigne. Véronique Roy est blonde aux yeux bleus. Elle l'affiche comme une preuve que la radicalisation ne concerne pas seulement les familles d'origine maghrébine. Selon elle, beaucoup de jeunes sont en danger. «Nous vivons dans une banlieue pavillonnaire privilégiée. Mon fils a suivi sa scolarité dans une école catholique privée. Il a fait un bon bac S avec mention, allait à l'université.»

Porte-parole d'elle-même, elle parle quand même au nom de ceux qui se taisent, ces parents de jihadistes perclus de honte. «Malheureusement, nous les familles qui avons des enfants qui sont tombés là-dedans, nous sommes associées au terrorisme. C'est pour cela qu'il faut parler. Parce qu'il y a ces regards qui jugent.» Le 14 avril, Véronique Roy était sur le plateau de France 2 pour interpeller François Hollande sur la radicalisation. «Je l'ai trouvé à l'écoute et grave», dit-elle, mais peu disposé à «se remettre en question sur les responsabilités de la France à propos des départs en Syrie et de la montée de l'islamisme.» Pour la mère de Quentin, la radicalisation d'une génération est le fruit d'un long processus, des banlieues laissées en déshérence, les yeux qui se ferment sur l'islam de plus en plus fondamentaliste.

Elle est infatigable. Pour dire, encore et encore, que le danger est là, protéiforme. En mars, elle était au Liban. En mai, elle témoignait dans une association pour malentendants. Car il existe aussi des vidéos de propagande de Daech en langage des signes.

Le dernier message de Quentin est arrivé juste après l'attentat contre le Bataclan. Pour dire qu'il était vivant. L'idée que son fils puisse faire partie des kamikazes est furtivement passée par la tête de Véronique Roy… «La pire chose qui soit arrivée, c'est qu'il est mort, dit-elle. Bien sûr, s'il a tué lui-même des gens, c'est horrible. Mais doit-on, nous, nous condamner pour cela ?» L'association des victimes du Bataclan a rencontré des parents de jihadistes pour leur dire qu'eux-mêmes étaient des victimes. Véronique Roy aime le raconter. Comme une consolation…

13 octobre 1961 Naissance de Véronique Roy. 15 avril 1992 Naissance de son fils cadet, Quentin. Septembre 2014 Départ clandestin de Quentin pour la Syrie. Octobre 2015 Campagne Stop jihadisme. Janvier 2016 La famille est prévenue de la mort de Quentin.