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Interview

Alzheimer : «Il y a une sorte de discrimination envers ces jeunes malades»

Spécialiste de la maladie d’Alzheimer, le neurologue Bruno Dubois déplore les fréquentes erreurs de diagnostic, qui orientent les patients vers la psychiatrie.
A la résidence «le Chemin» de Cesson, le 13 septembre. L'établissement accueille des malades précoces d'Alzheimer. (Photo Albert Facelly pour «Libération»)
publié le 20 septembre 2016 à 19h01

A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la maladie d’Alzheimer, ce mercredi, le professeur Bruno Dubois, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, fait le point sur les formes précoces de cette maladie.

Parler de formes précoces de la maladie d’Alzheimer a-t-il un sens ?

Oui. D’autant que cela renvoie à la forme historique décrite par Alois Alzheimer sur une femme de 52 ans. Ce sont des formes très typiques, qui ont souvent un déterminisme génétique, mais pas systématiquement. Dans une étude que nous avons réalisée, nous avons montré que seuls 18 % des patients dont les troubles avaient débuté avant 60 ans avaient une mutation génétique responsable. Alors que pour les formes plus classiques, le lien génétique n’est que de 0,3 %.

Les symptômes sont-ils les mêmes dans ces formes précoces ? Comment se caractérise la maladie ?

La représentation est un peu différente, dominée par des troubles dits instrumentaux, comme des troubles du langage ou de la reconnaissance visuelle. De fait, on assiste à un mode d’entrée souvent différent dans la maladie, en tout cas qui ne se caractérise pas par des troubles de la mémoire.

Que vous apprennent ces malades plus jeunes ?

Les formes précoces s’opposent fortement à celles touchant les personnes âgées. D’abord parce que la maladie se déclare à un moment où le patient est en peine activité professionnelle, familiale, où les liens sociaux sont importants. Les conséquences vont être, de ce fait, très différentes. La deuxième chose, c’est que bien souvent, face à l’apparition de ces troubles, les médecins traitants ne pensent pas toujours à Alzheimer. Ces jeunes malades risquent de connaître une errance diagnostique, ils se perdent souvent en psychiatrie. J’ai des patients qui ont été licenciés pour faute grave de leur entreprise alors que leurs troubles étaient liés à la maladie. Aujourd’hui, on pourrait presque dire que, pour avoir trop associé la maladie d’Alzheimer au grand âge, il y a une sorte de discrimination envers ces jeunes malades qui va les pénaliser, avec des conséquences majeures sur leur vie familiale et professionnelle. On va leur dire ainsi qu’il faut à tout prix continuer de travailler. Or ce n’est pas le cas : ils doivent entrer dans le monde sanitaire.

Cela touche-t-il plus de femmes que d’hommes ?

Comme pour les plus âgés : un peu plus de femmes.

Et d’un point de vue scientifique, y a-t-il des changements ?

Pour nous, neurologues, ces formes précoces ont un grand intérêt scientifique, car chez les plus jeunes, il n'y a pas toutes les comorbidités que l'on rencontre chez les personnes plus âgées, comme les maladies cardiaques, le diabète… Il n'y a pas non plus de iatrogénie médicamenteuse [effets dus aux médicaments, ndlr]. Nous sommes devant une réalité clinique plus pure, et nous pouvons associer directement des symptômes à des lésions du cerveau observées.

Ces connaissances servent-elles à améliorer la prise en charge ?

Il y a des problèmes particuliers : ainsi, garder un patient jeune à domicile est très difficile. Le mettre dans une maison de retraite est un non-sens. D’où l’importance de nouveaux lieux. Quant à la prise en charge, il y a d’un côté la nécessité de stimuler les activités cognitives, et de l’autre, celle de tenter de les mettre dans les protocoles d’essai des nouveaux médicaments. Nous avons dû nous battre pour pouvoir les inclure. Maintenant, on commence sur des patients dès 55 ans. Ils ne sont que quelques dizaines, c’est peu, mais cela débute.