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Libération
Éditorial

La youtubeuse, le géant d’Internet et le politique au long cours

La sympathique Laetitia Nadji a été choisie pour interviewer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Cette réédition d’une opération montée par YouTube aux Etats-Unis s’annonçait top … Sauf que non.
publié le 20 septembre 2016 à 19h41

C’est l’histoire de l’éléphant qui a peur d’une souris. Dans le rôle de l’éléphant, YouTube. Dans celui de la souris, Laetitia Nadji, sympathique youtubeuse, 60 000 abonnés à ses conseils écolo-bios. Laetitia Nadji a été choisie pour interviewer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Cette réédition d’une opération montée par YouTube aux Etats-Unis sur une interview de Barack Obama s’annonçait top : Juncker, forme moderne du méchant absolu, face à la ravissante petite souris si spontanée, quelle bonne idée ! Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs…

Sauf que non. Souriante, appliquée et pleine de bon sens, Laetitia Nadji a fait ce que YouTube n'attendait pas : elle a préparé ses questions. Pire, elle les pose : «Confier [la régulation fiscale] à quelqu'un qui a été ministre des Finances pendant dix-huit ans du plus grand paradis fiscal en Europe, demande-t-elle à Juncker de sa petite voix flûtée, est-ce que ce ne serait pas un petit peu comme désigner chef de la police un braqueur de banques ?» Argh… Laetitia, qu'as-tu fais là ? Panique à bord. Un responsable l'avait pourtant prise à part avant l'interview et, effaré par les questions, l'avait mise en garde : «Tu ne veux pas te mettre et YouTube et la Commission à dos ?» Elle prend le risque.

On sent l’éléphant bien ébranlé. En plus, il ignore que Laetitia a filmé l’échange en caméra cachée. Et il va découvrir qu’elle se paye le luxe de refuser le contrat que Google, la maison mère, lui propose pour la calmer. Comme elle met le tout en ligne et le raconte sur le Net, c’est complet.

YouTube voulait une opération de communication bien contrôlée. Loupé. Mais si les dirigeants de la plateforme avaient regardé autrement l'interview, ils auraient vu que, pour Juncker, c'était formidable. Laetitia Nadji pose certes ses questions bizarres. Mais très gentiment. Tout juste si elle n'ajoute pas «rendez-vous compte…» en fin de ses phrases. En face, Juncker est aux anges. Cet animal au cuir tanné en a vu d'autres. Il glisse avec le sourire quelques rappels sur «l'arrogance française». Cela s'annonçait comme une nunucherie. Finalement, c'est une bonne com. Mais pas pour Youtube.