Le procès des douze personnes accusées d'avoir participé à l'émeute de Moirans (Isère), à l'automne dernier, s'est clôt ce jeudi soir après quatre jours d'audience. Le vice-procureur Michel Coste a demandé la condamnation de tous les prévenus, convaincu, malgré les dénégations de certains, de leur participation active aux événements du 20 octobre 2015.
Ce jour-là, quelques dizaines de gens du voyage, soutenus par des jeunes des cités voisines, avaient violemment réagi au refus par la justice d'accorder une autorisation de sortie provisoire à un détenu, membre d'une communauté de gitans sédentarisés de Moirans. Et ce, afin d'assister à l'enterrement de son jeune frère. Ils avaient barré et dégradé un axe routier et des voies SNCF, à l'aide de barricades enflammées, alimentées par des voitures. Les barrages n'avaient été levés qu'après plus de trois heures de blocage, par plusieurs unités de gendarmes mobiles réunies à la hâte. Bilan humain: un blessé léger, côté gendarmes. Une nouvelle demande de sortie du prisonnier, sous escorte policière, avait été de nouveau rejetée le lendemain, jour des funérailles qui s'étaient déroulées sans nouvel incident.
«La déraison d’une colère qui n’était pas sainte»
Au procès, le vice-procureur Coste a invoqué Marianne, «salie et bafouée» par ces «violences inadmissibles», et dénoncé « la déraison d'une colère qui n'était pas sainte». «Nul ne peut contraindre la justice ou la prendre en otage, fut-ce par média interposés», a-t-il insisté avant de lever le ton : «La souffrance oui, mais la colère contre la République, non». S'il a demandé au tribunal de condamner chacun des prévenus, dont la moitié seulement sont des gens du voyage, le magistrat a néanmoins fait preuve de modération dans ses réquisitions. Il a demandé des peines d'emprisonnement allant, selon les cas, de 6 mois avec sursis à 14 mois fermes. Il souhaite en revanche qu'elles soient assorties de travaux d'intérêt général et d'une obligation d'indemniser les victimes : «Il me parait cardinal que tous retroussent leurs manches.»
Le vice-procureur a parsemé son réquisitoire de quelques appréciations qui peuvent éclairer sa modération. Il a parlé notamment de «personnes qui se sont enflammées pour une cause qui leur paraissait juste», souligné qu'il «n'y avait rien eu de prémédité très en avance: cela a pris comme une traînée de poudre». Il a surtout gradué ses réquisitions selon le degré d'implication dans les violences. Implication qui a pu être prouvée durant l'enquête, paralèllement au passé judiciaire de chacun, réservant ainsi les demandes de prison ferme aux trois hommes aux précédents les plus lourds et reconnus comme «hyperactifs» lors des troubles.
Le temps de la justice, le temps de la politique
Le réquisitoire était d'autant plus délicat que le parquet grenoblois avait été soumis, juste après l'émeute, à une forte pression de la classe politique. L'opposition avait hurlé au laxisme face à l'absence d'interpellations le jour même et le Premier ministre Manuel Valls avait, à Moirans même, insisté sur le fait qu'il n'y aurait «aucune impunité» à l'égard des émeutiers. Le procureur de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, connu pour son indépendance d'esprit, avait pour sa part déclaré dans les médias, au lendemain des troubles, que «le temps de la justice n'[était] pas celui de la politique», et que l'enquête serait longue et «extrêmement difficile»...
De fait, les investigations se sont surtout appuyées sur les vidéos tournées par les gendarmes et des témoignages, ce qui n'a permis d'identifier, plus ou moins facilement, qu'une partie des fauteurs de trouble cagoulés. Les suspects ayant été interpellés le 18 janvier, le procès n'aura pas tardé, survenant moins d'un an après les faits. Mission accomplie, donc, pour l'institution judiciaire.
Ce qui n'éteint pas la polémique sur «l'indulgence» du parquet, terme utilisé autant par les avocats de la défense que ceux des parties civiles. Denis Dreyfus, avocat de la ville de Moirans, fustige des réquisitions «particulièrement bienveillantes et qui vont paraître au commun des mortels, dont les habitants de Moirans, bien gentilles, voire laxistes. Ce réquisitoire, fait en vue d'apaiser cette communauté des gens du voyage, n'apaisera pas la population de Moirans. Il serait salutaire que le tribunal aille au-delà». A l'inverse, Ronald Gallo, avocat de la défense, estime que «le caractère mesuré et intelligent des réquisitions démontre l'absence de convictions du procureur. Il est très embarrassé par l'origine des émeutes. Les prévenus n'avaient pas des motivations de délinquants : c'était des personnes peinées, écoeurées.» Karine Bouden, autre avocate de la défense, a souligné que «Marianne ne doit pas être très fière de son manque d'humanité», parlant du refus de permission à un détenu, décision à l'origine des troubles, avant de dénoncer, comme plusieurs de ses collègues, le déclenchement tardif des opérations de maintien de l'ordre, dans un contexte pourtant explosif… Le jugement est attendu le 28 septembre.