Près de trois mois après la tuerie qu'il a perpétrée à Nice, Mohamed Lahouaiej Bouhlel demeure un profond mystère. Même s'il n'existe pas de «profil type» de terroriste, la vie de ce père de trois enfants, né à M'saken (Tunisie) il y a trente et un ans, semble souvent à mille lieues des préceptes édictés par le groupe Etat islamique. La lecture des premiers éléments de l'enquête de personnalité auxquels Libération a eu accès a de quoi laisser pantois. Rien, hormis quelques vidéos exhumées dans son ordinateur, ne paraît pour l'heure étayer une conscience aboutie de la doxa jihadiste. En revanche, la drague, le culte de soi et la fascination pour la violence sont omniprésents.
«Il s'aimait, il était narcissique ?» demandent les enquêteurs à H., son ancienne épouse placée en garde à vue le lendemain de l'attentat. «Oui, c'était toujours lui d'abord. Quand il faisait de la muscu, il me demandait de le prendre en photo pour voir ses progrès ; il faisait très attention à sa personne.» Les interrogatoires de la femme de 32 ans, qui travaille dans un hôtel niçois, ont permis d'en apprendre davantage sur la personnalité trouble du terroriste. Le couple, en instance de divorce au moment des faits, s'était marié en 2006 en Tunisie. «Au début ça allait, puis peu à peu nous nous sommes engueulés et après il s'est mis à me taper dessus», dit H. Elle précise : «Une autre fois j'ai déposé plainte, car il faisait pipi sur moi et caca dans les chambres.»
Elle brosse ainsi le portrait d'un mari narcissique, brutal, aux réactions extrêmes. «Il voulait me pousser à divorcer pour qu'il puisse faire sa vie de célibataire, sortir avec des filles, aller en boîte», indique-t-elle. Selon son ex-épouse, Mohamed Lahouaiej Bouhlel «ne pratiqu[ait] pas du tout, il mange[ait] du porc, [buvait] de l'alcool. Il [fumait] de temps en temps». Elle ajoute : «Je ne l'ai jamais vu prier ni quoi que ce soit en relation avec la religion.» H. affirme aux enquêteurs qu'elle n'était pas au courant de son projet macabre. Elle tente de le joindre à plusieurs reprises dans la soirée du 14 juillet : «Je sais qu'il aimait les feux d'artifice et je voulais avoir de ses nouvelles quand j'ai su que le poids lourd avait fait plein de victimes.» Faute de charges probantes, elle sera relâchée deux jours plus tard.