Le temps selon Nicolas Sarkozy semble s'écouler à l'envers. «Dès que l'on devient français, nos ancêtres sont gaulois.» Prenons la proposition au sérieux et faisons un peu d'histoire régressive. Allons à rebrousse-poil.
Sous la IIIe République, l'idée exprimée par l'ancien président servait la cause de la politique coloniale. Certains pouvaient estimer que l'intention n'était pas mauvaise. Apprendre à tous les enfants de l'empire que leurs ancêtres étaient des Gaulois, après tout, cela ne permettait-il pas d'intégrer symboliquement tous les peuples à la nation ? Derrière l'aberration historique, il y aurait eu l'expression d'une certaine égalité.
Mais célébrer les Gaulois, c’était aussi célébrer des vaincus. Si la Gaule s’est civilisée, disait-on, c’est parce qu’elle avait été battue par César. Les peuples colonisés devaient tirer profit de cette leçon. Leur propre défaite militaire serait le moyen de leur civilisation, exactement comme cela avait été le cas des Gaulois. Vercingétorix donnait son sens au destin de l’émir Abd el-Kader, le principal opposant à la conquête de l’Algérie.
Ce qu’on aimait vraiment chez les Gaulois, c’était leur défaite. En 1870, les républicains étaient heureux de se souvenir que la Gaule avait survécu au désastre militaire. En tant qu’héritière, la France aussi y parviendrait.
Désunis
D’autant que l’on pouvait tirer de cela toute une morale politique. Si les Gaulois avaient perdu, en dépit de leur incroyable bravoure, c’était parce qu’ils étaient désunis. Il leur avait manqué un chef. Ils avaient été incapables de s’unir. En cela, la Gaule servait le discours du rassemblement national.
Pour les républicains de la fin du XIXe siècle, les Gaulois étaient un modèle d'autant plus vénérable que leur fortune datait de la Révolution - cette grande révolution à quoi l'on devait la République. Depuis 1789, on en faisait les ancêtres du peuple. Les Francs, eux, auraient été les ancêtres de l'aristocratie. Dans Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? l'abbé Sieyès n'avait-il pas invité le peuple à renvoyer «dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d'être issues de la race des conquérants et d'avoir succédé à des droits de conquête» ?
En l'occurrence, Sieyès ne faisait que renverser les termes d'un débat qui durait depuis le début du XVIIIe siècle. Certains membres de l'aristocratie, tel le comte de Boulainvilliers, avaient rappelé leurs origines franques. Pour ces nobles, il s'agissait de rappeler au roi de France que, lui aussi, n'était qu'un descendant des Francs parmi d'autres (un primus inter pares, disons-le). Au lendemain du règne de Louis XIV, cependant que s'établissait l'absolutisme, ils réclamaient davantage de pouvoir pour l'aristocratie.
Précautions
De tels débats n'étaient possibles que parce que, depuis le XVIe siècle, historiens et érudits éditaient savamment les auteurs anciens - Grégoire de Tours ou César. Ces vieilles histoires semblaient curieuses. Cependant, elles ne servaient que marginalement la cause de l'Etat. Pour le pouvoir royal, fidèle aux traditions issues du Moyen Age, la seule histoire de France était celle de la dynastie. Tout commençait avec les ancêtres de Clovis.
Des Gaulois, on ne savait au fond que ce qu’en disait César - et, avec lui, son principal informateur, le Grec Poseidonios. Témoignage à prendre avec d’infinies précautions, tant le chef romain avait intérêt à dire qu’il avait conquis un territoire cohérent, peuplé d’habitants valeureux mais barbares. Pour aller chercher la vérité des Gaules dans César, mieux vaut être armé de tous les moyens de la critique historique.
Certains le sont. Ce sont les spécialistes des Gaulois. Ils savent lire les textes antiques et participent aux fouilles archéologiques. Ils savent tout ce qu’on peut savoir aujourd’hui des hommes et des femmes qui vécurent autrefois sur le territoire que César appelle la Gaule. Notre marche à rebrousse-poil ne pouvait nous conduire qu’à eux.