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Gauche

Najat Vallaud-Belkacem se voit au premier rang en 2017

Réunions avec ses soutiens, sorties contre la droite et contre Valls… La bonne élève du gouvernement, qui s’est forgé une solide expérience en cinq ans, se veut incontournable. Au côté du Président… ou d’un autre.
François Hollande, Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem, le 19 septembre à Paris. (Photo Marc Chaumeil pour «Libération»)
publié le 6 octobre 2016 à 19h01

«Détrompez-vous, elle ne prépare pas l'après-présidentielle mais le pendant» : qu'ils soient inconditionnels, sceptiques ou contempteurs, aucun dirigeant socialiste ne doute plus cet automne des ambitions de Najat Vallaud-Belkacem. Certes, le mois de septembre, et son corollaire de rentrée scolaire, a toujours un effet loupe sur les ministres de l'Education nationale. Mais cette année, «elle a fait ce qu'il fallait pour que tout le monde sache qu'il faut compter avec elle pour cette présidentielle», poursuit ce membre du premier cercle hollandais, qui voit d'un très bon œil la détermination de l'ancienne porte-parole du gouvernement mûrir au soleil déclinant du quinquennat.

Jeune (39 ans depuis quelques jours), femme, issue de la diversité, désormais dotée d'une solide expérience ministérielle et loyale au chef de l'Etat, «NVB» est une sorte d'anti-Emmanuel Macron cochant toutes les cases pour jouer un rôle important dans les mois qui viennent, que François Hollande soit candidat à sa succession ou non. «Dans la nouvelle génération, elle pense qu'il y a deux pôles, ceux qui brouillent les repères et ceux qui les défendent, schématise Etienne Grass, qui fut son directeur de cabinet au ministère des Droits des femmes et reste l'un de ses très proches. Elle est à la recherche d'idées nouvelles. Elle entre dans une période décomplexée.» D'où son énorme coup de gueule de la fin août contre Manuel Valls. Rien de moins. Au terme d'un été dominé par les questions de sécurité et d'identité, elle dénonce la «prolifération des arrêtés anti-burkini» sur Europe 1. A ses yeux, cette surenchère a «libéré la parole raciste». L'attaque de cette sniper en herbe vise la droite au premier chef, qu'elle attaque en piqué dans chacune de ses interviews. Mais le Premier ministre ayant défendu en personne les arrêtés municipaux, la cible collatérale ne fait aucun doute. Quoi de mieux pour celle qui fait figure de bonne élève du gouvernement - lisse et insaisissable, débinent ses opposants - que de s'opposer au chef du gouvernement tout en restant dans la ligne choisie par le Président pour réussir son émancipation ? Vu le barouf que ses propos provoquent au sein de la majorité, l'entourage de la ministre agite rapidement le drapeau blanc, démentant toute volonté de s'opposer (et donc de nuire) au Premier ministre. En réalité, la charge était totalement contrôlée, voire préparée.

«En mode bulldozer»

La veille de sa sortie, au ministère de l'Agriculture, Vallaud-Belkacem se retrouve avec Stéphane Le Foll et François Rebsamen, l'ex-locataire de la Rue de Grenelle, autour de Hollande : le Président reçoit les élus socialistes pour un apéro de rentrée. Depuis le jardin, les élus observent ce petit comité s'installer dans le bureau de Le Foll, au rez-de-chaussée. «C'était étrange comme moment. Alors que Hollande n'avait que les mots "collectif" et "rassemblement" à la bouche une minute avant, on s'est senti exclus, raconte un parlementaire. Mais ce que tout le monde a bien noté, c'est que Najat [Vallaud-Belkacem] était au milieu de la photo.» A l'intérieur, la petite équipe s'attarde sur le dossier «burkini». La ministre a l'intention de répliquer et en informe Hollande. Qui ne dit mot, et donc consent. «Elle a bien fait et elle a fait du bien à beaucoup de monde», estime a posteriori la députée de la Vienne Catherine Coutelle, qui fait partie des inconditionnels. «Elle ne déboîte pas uniquement par stratégie, mais aussi par conviction», salue de son côté Bruno Julliard, premier adjoint de la maire de Paris et membre de la même génération au PS.

En apparence, l'occasion a fait le larron : Vallaud-Belkacem aurait saisi au vol la polémique sur le burkini pour dire le fond de sa pensée politique. Le timing de ce solo ne doit pourtant rien au hasard : il a été mis au point en mars lors d'une soirée réunissant une trentaine de «gens qui croient en elle». Son mari, Boris Vallaud, secrétaire général adjoint de l'Elysée, est là, comme ses plus proches collaborateurs. Dont son directeur adjoint de cabinet, Olivier Noblecourt, et son conseiller spécial, François Pirola, qui la suit depuis ses débuts à Lyon. Ainsi que d'anciens membres de cabinet qui gravitent toujours autour d'elle.

Emmanuel Macron s'élançant de son côté, la stratégie pour 2017 et l'après est au cœur du dîner. «Un petit groupe voulait qu'elle soit candidate sur son nom» à la primaire, se souvient un participant. «Rester sage, c'était courir le risque d'être dévaluée, mais y aller, c'était courir le risque de diviser, rapporte un autre convive. Elle a choisi ni l'un ni l'autre. Sa décision a été de réussir la dernière rentrée du quinquennat tout en avançant en mode bulldozer» sur le terrain politique. «Soyons sérieux, Najat Vallaud-Belkacem n'est pas loyale, elle n'est juste pas qualifiable» à la primaire, persifle un pilier du groupe PS à l'Assemblée nationale. Pas candidate mais peaufinant son identité propre au cas où. D'où sa rentrée politique sans complexe, ses leçons faites à Nicolas Sarkozy sur les Gaulois et au pape François (tancé pour ses propos sur la supposée théorie du genre), et sa boulimie de médias, jusqu'à une interview exclusive à Gala pour évoquer sa «vie de mère» et son envie d'un troisième enfant. Dans la petite vidéo qui l'accompagne, elle prend deux résolutions : «Tout faire pour faire gagner la gauche en 2017 et avoir plus de temps pour jouer au foot» avec ses jumeaux.

Après sa sortie sur les arrêtés anti-burkini, l'ex-porte-parole du gouvernement a fait mine de rentrer dans le rang gouvernemental lors du grand meeting de la majorité à Colomiers (Haute-Garonne) fin août. Pour mieux remettre ça une semaine plus tard dans les colonnes de l'Obs. «Manuel Valls a son identité politique et moi, j'ai la mienne. Pour lui, l'essor de l'islam radical est le combat central. Pour moi, la société française est d'abord minée par le repli identitaire, le ressentiment à l'égard des musulmans», assène celle qui a occupé le ministère des Droits des femmes avant l'Education. Du petit-lait pour les hollandais. Comme les secrétaires d'Etat Matthias Fekl ou Axelle Lemaire, «Najat [Vallaud-Belkacem] a énormément progressé tout au long du quinquennat, loue Julien Dray, visiteur du soir en chef à l'Elysée. Hollande doit s'appuyer sur cette nouvelle génération car celle d'avant a fait faillite.»

Haut de l’affiche

Pour les vieux éléphants légitimistes du PS, Vallaud-Belkacem «joue tout à la fois». Se positionner pour la primaire en cas de forfait de Hollande, rappeler son bilan - qui est celui de Vincent Peillon, taclent ses détracteurs - et avancer de nouvelles idées, comme la scolarisation obligatoire de 3 à 18 ans ou la réforme du lycée. Histoire de pouvoir prétendre au poste de coordinatrice du programme présidentiel - plutôt que directrice de campagne, la dernière rumeur à la mode. Viser un ministère régalien en cas de victoire l'an prochain et, si tout cela échoue, sortir du lot pour être une figure de l'opposition. Voire pour prendre la tête du PS, selon plusieurs de ses collègues au gouvernement.

En quelques semaines, elle a «clarifié son identité politique» et «constaté que prendre des risques pouvait payer», se félicitent ses amis. «Son objectif, c'est le rassemblement de la gauche pour gagner la présidentielle, et son rêve, c'est d'être toujours ministre de l'Education en septembre 2017», tente de démentir son cabinet.

Quand on a tout connu très jeune, difficile de disparaître du haut de l'affiche et de redevenir simple députée de base. «NVB» met donc les bouchées doubles. «Elle va avoir 40 balais, elle sait que, défaite ou pas défaite, on change de cycle politique après la présidentielle, analyse un ténor de la majorité. Elle incarne une des rares promesses tenues du quinquennat [les recrutements dans l'Education nationale, ndlr]. Puisque le renouvellement est en marche, elle le préempte.» Samedi soir, après les étincelles de septembre, elle faisait partie des socialistes invités à dîner à Matignon par Manuel Valls… Qui pourrait aussi relever le gant si François Hollande décidait de ne pas briguer un second mandat. Côté idées, la ministre s'apprête à signer la préface de l'essai sur le progrès de son ancien dircab, Etienne Grass, et planche sur les questions européennes.

Distante avec Ségolène Royal, qui l'a mise sur orbite pendant la présidentielle de 2007, elle a récemment repris langue avec certains députés estampillés royalistes. Après avoir confirmé qu'elle serait candidate aux législatives à Villeurbanne (Métropole de Lyon), la ministre travaille méthodiquement : il y a trois semaines, elle a organisé un dîner avec une demi-douzaine de jeunes élus de Rhône-Alpes pour préparer son atterrissage. Comme Ségolène Royal avant elle, «elle peut jouer un rôle positif pour ramener des gens à la politique, s'enthousiasme Catherine Coutelle, l'une des références au Parti socialiste sur la question du droit des femmes. Je ne l'ai jamais vu faire des coups tordus. Pourra-t-elle réussir sans, c'est la question».