Cible d'un saucissonnage express flingue sur la tempe et délestée de 9 millions d'euros de bijoux dimanche soir alors qu'elle prenait part à la Fashion Week parisienne, Kim Kardashian n'est pas une victime comme les autres. Voire pas une victime du tout. C'est le surprenant consensus qui unit - entre autres - la mascotte présidentielle du NPA, un sociologue-animateur officiant à France Culture et le pape de la mode. Philippe Poutou parle de «redistribution des richesses» (avant de se raviser en reconnaissant une «maladresse»), Guillaume Erner invoque Emile Durkheim pour sous-entendre la juste rétribution d'une imposture basée sur un postérieur et Karl Lagerfeld estime sans rougir qu'on ne peut «étaler sa richesse et ensuite être surpris que des gens veuillent la partager». En somme, Kim Kardashian, qui affichait son bling à la vue de tous, l'a un peu beaucoup cherché. Ça lui servira de leçon. Piers Morgan, ancien présentateur de CNN et éditeur du Daily Mail, n'a-t-il pas dit que le braquage était probablement «la meilleure chose qui soit jamais arrivée» à la madone de la télé-réalité ?
Etonnants tartuffes à la sauce protestante (cachez cette richesse que je ne saurais voir !) qui, à l’évocation de l’agression d’une femme vue comme un freak et un outrageant robinet à fric, sont soudainement armés d’une conscience de classe et d’une philosophie de la violence digne d’un militant d’Action directe. Car si l’on oublie cinq minutes les théories du complot - on aime particulièrement celle du coup monté pour que Paris n’obtienne pas les JO de 2024 afin que sa belle-mère, Caitlyn Jenner, allume la flamme olympique aux Jeux de Los Angeles -, on parle là d’une agression sur une femme seule face à cinq hommes et qui, selon ses dires, a eu peur d’être violée et d’y passer. Pas franchement de quoi sortir les cotillons. Ce qui rendrait Kardashian indéfendable serait sa dimension cumulative : trop d’argent, trop de fesses, trop de seins, trop de followers, trop d’attention. Surtout, ce trop-plein serait immérité, bâti sur du vide.
D'où viennent ses millions ? D'un show exhib qui enquille sa neuvième saison, de jeux vidéo mobiles, d'emojis à son effigie, de fringues, produits de beauté et autres parfums à son nom, de la publicité plus ou moins déguisée sur les réseaux sociaux. En plus de sa sextape originelle et de son mariage au rappeur le plus mégalo (et doué) de sa génération. De la télé-réalité, d'Internet, du porno, du trash : une fortune superficielle, donc sale pour les nouveaux pères la morale. Mais pas volée, qu'on le veuille ou non. Kardashian serait «indécente», au propre comme au figuré, car elle a fait son beurre du pire de notre culture de masse, en monétisant sa vacuité. C'est la Castafiore moderne, même pas féministe, à qui l'on a à nouveau piqué les diamants. C'est la mauvaise conscience de notre tout-à-l'ego contemporain, le reflet embarrassant d'une génération. De là à se refaire une santé idéologique sur le séant de Kardashian, il y a une facilité et une promptitude à prendre une posture symptomatique de l'époque. Et, in fine, tout aussi vaine que l'objet du jugement.