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Une Française autorisée à procéder à une insémination post-mortem à l'étranger

Le tribunal administratif de Rennes a accédé à la demande d'une jeune veuve qui souhaite le transfert à l'étranger des gamètes de son défunt mari. Il s'agit d'une première.
Des échantillons dans une banque de sperme de Californie. (Photo Robyn Beck. AFP)
publié le 12 octobre 2016 à 16h14

La France va-t-elle devoir revoir sa copie en matière d'insémination post-mortem ? Pour la deuxième fois en quelques mois, la justice vient en tout cas d'accéder à la demande d'une jeune veuve souhaitant se faire inséminer à l'étranger avec les gamètes de son défunt mari. Et pour la première fois, il s'agit d'une Française. Ainsi, ce mercredi, le tribunal administratif de Rennes a donné son feu vert à la requête d'une femme d'une trentaine d'années, qui souhaitait obtenir le transfert des gamètes de son mari, conservés au CHU de Rennes, vers un pays européen qui autorise l'insémination post-mortem. Cette pratique est proscrite sur le sol français en vertu des lois de bioéthique de 1994. Qui plus est, le Code de la santé publique «interdit l'exportation de gamètes conservés en France pour un usage qui méconnaîtrait les principes bioéthiques de la loi française». Dès lors, comment expliquer la décision favorable rendue à Rennes ?

«Il ne s'agit pas d'un revirement législatif», avertit d'emblée Me David Simhon, avocat de la requérante et spécialiste en droit de la santé, pour qui «cette décision s'inscrit dans la droite ligne de celle rendue par le Conseil d'Etat en mai dernier». La plus haute juridiction administrative française avait alors donné raison à une autre cliente de Me Simhon, Mariana Gonzalez-Gomez-Turri. Cette jeune veuve espagnole souhaitait récupérer les gamètes de son époux décédé conservées en France pour se faire inséminer en Espagne, où cette pratique est autorisée sous conditions. Le Conseil d'Etat avait alors jugé que la loi française n'est pas contraire aux dispositions en matière de «respect de la vie privée et familiale» prévues par la Convention européenne des Droits de l'Homme, tout en estimant que pour la «situation très particulière de l'intéressée […], l'application de la loi française entraînerait des conséquences manifestement disproportionnées». En clair : des circonstances «exceptionnelles» (la nationalité des interessés) expliquaient ce feu vert.

«La France va certainement devoir se repositionner sur ces questions»

«Le Conseil d'Etat n'a pas précisé dans quelles circonstances exceptionnelles pareille décision peut être prise, explique Me Simhon, mais le tribunal de Rennes les a en quelques sortes caractérisées», estime l'avocat. En l'occurrence, sa cliente a perdu son mari, atteint d'un cancer, en janvier 2016, puis son enfant, décédé in utero à quelques jours du terme. Conséquence : le tribunal a estimé que lui refuser l'exportation des gamètes de son époux constituerait «une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa décision et de celle de son défunt époux de devenir parents».«La France est l'un des pays européens où les lois sont les plus drastiques en matière d'assistance médicale à la procréation. On va certainement être amenés à se repositionner sur ces questions», analyse Me Simhon.

Cette décision intervient alors qu'une autre requête doit être examinée ce jeudi par le tribunal administratif de Toulouse. Il s'agit cette fois d'une femme de 35 ans souhaitant récupérer les gamètes de son époux décédé en 2014, à des fins de «conservation» cette fois. «Ma cliente veut récupérer les échantillons de sperme simplement pour les conserver, ayant dépassé les délais légaux dans les pays où elle aurait pu se faire inséminer, explique à Libération son avocat, Me Amaury Pigot. Elle veut pouvoir profiter d'un changement éventuel de la loi française dans les années à venir. Les échantillons peuvent se conserver jusqu'à vingt ans. Mais si elle ne les obtient pas, ils seront détruits», poursuit-il. Le jugement de Rennes pourrait-il peser ? «Le cas de ma cliente est le cas le plus typique, loin du cas très particulier expliquant la décision surprise rendue à Rennes...», répond l'avocat, pessimiste.

D'autres requêtes de ce type ont été formulées en France ces dernières années, sans succès. Une seule femme avait obtenu gain de cause. En 1984, Corinne Parpalaix réclame au Cecos (Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme) du Kremlin-Bicêtre le sperme congelé par son mari trois ans avant son décès. L'hôpital s'y refuse et la jeune femme en appelle à la justice. Celle-ci lui donne gain de cause, mais la veuve ne parvient pas à tomber enceinte. C'est à la suite de ce cas spécifique que les lois de bioéthique ont écarté toute possibilité d'insémination post-mortem sur le sol français.