La croisade obsessionnelle de la droite décomplexée contre le communautarisme musulman n'est pas du goût de l'Eglise catholique. On s'en doutait un peu depuis que le père dominicain Philippe Verdin a laissé éclater sa colère fin septembre. «On atteint des abysses de bêtises», s'était-il exclamé dans un entretien à l'Obs où il dénonçait «la vaine et débile polémique» sur le burkini. L'auteur de ce coup de gueule n'est pas n'importe qui : en 2004, Philippe Verdin cosignait avec Nicolas Sarkozy un livre d'entretien sur le fait religieux.
Ce jeudi, c'est au tour de l'archevêque de Marseille, Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, de faire entendre sa réprobation. «Interdire les signes religieux, c'est encourager les courants fondamentalistes. C'est ressenti comme une provocation et comme la négation d'une foi personnelle», explique-t-il dans un entretien au Monde. Au-delà de Sarkozy, cette charge vise tous les candidats – comme Bruno Le Maire ou Jean-François Copé – qui envisagent de durcir la législation contre le port du voile islamique.
«Retrouver le sens du politique»
Selon Georges Pontier, «les musulmans ressentent que le regard qu'on porte sur eux est un regard qui les juge, qui fait d'eux des islamistes potentiels». «Avec ça, on ne peut pas avancer», ajoute-t-il. Le président de la Conférence des évêques (CEF) s'exprime à l'occasion de la parution d'une adresse «aux habitants de notre pays», rédigée par les dix membres du conseil permanent de la CEF. Le titre de ce texte d'une centaine de pages, Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, indique clairement qu'il s'agit de peser sur le débat présidentiel.
Dans un étrange renversement des rôles, ce sont les évêques qui appellent les responsables politiques à «redéfinir le contrat républicain» afin de mieux «gérer la diversité dans notre société». Sur fond d'exclusion et de précarité, ils notent que «les valeurs républicaines de liberté, égalité, fraternité, souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains».
Comportements partisans et démagogiques
Comme en échos aux incantations sarkozystes sur les Gaulois et l'impératif d'assimilation, les évêques rappellent que la mondialisation a «bousculé» l'idée de «nation homogène». Ils jugent «très important» que la société s'empare de la question de l'identité nationale, «à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre pays, mais aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter».
«Qu'on le veuille ou non, la société est devenue pluraliste, plurielle», ajoute Georges Pontier, qui juge vaines les tentatives de retour «à une supposée identité fermée, éternelle, que tout le monde aurait partagée dans le passé». «On dirait du Juppé», n'a pu s'empêcher de penser, à la lecture de ces lignes, un proche du maire de Bordeaux. On n'est pas loin, de fait, de l'intégration respectueuse des identités défendue pas le père de «l'identité heureuse».
Effarés par la dégradation du débat politique, les évêques dénoncent «les comportements partisans et démagogiques», «les ambitions personnelles démesurées», «les manœuvres et calculs électoraux». Cela serait devenu, concluent-ils, «insupportable».