«Ma famille vit à Angers. Je suis venu dans le Sud pour faire mes études, puis j’y suis resté pour mon travail. Je n’aurais pas fait ce choix s’il n’y avait pas eu le train de nuit. C’est le seul moyen de rentrer voir ma famille sur un week-end. Je prends le train à 21 heures à Perpignan, j’arrive à 5 h 40 à Vierzon. Puis je monte dans un TER jusqu’à Tours et dans un autre pour Angers. J’arrive à 8 h 58 le samedi, je ne peux pas faire plus court. J’ai mis du temps à trouver cette option : la SNCF ne le propose pas au guichet ou sur le site, il faut connaître, prendre parfois deux billets séparés. J’ai découvert ce trajet sur le site des transports ferroviaires allemand, un comble ! En Allemagne, le train de nuit est mis en avant, notamment pour promouvoir le tourisme.
«Il est très utilisé par les adeptes du vélo : c’est l’un des seuls trains, avec quelques Intercités de jour, où l’on peut voyager avec son vélo. Dans les TGV, il faut le démonter entièrement… L’argument de la rentabilité que l’on nous sort me met hors de moi. Il y a plein de choses que l’on continue de faire alors qu’elles ne sont pas rentables. Les routes peu fréquentées, on continue de les entretenir ! C’est un choix politique.»
«Je suis un grand amoureux des trains de nuit. La première fois, avec mes parents et mes cinq frères et sœurs, je devais avoir 10 ans. Depuis, je l’utilise dès que je peux. J’ai fait plein de trajets différents, dans tous les sens : Paris-Perpignan, Biarritz-Paris, Paris-Venise, Paris-Berlin à l’époque du Mur…
«Chaque voyage est un souvenir. Il y a une ambiance particulière, une sorte de complicité entre voyageurs. Comme si on appartenait à une race à part, de ceux qui aiment prendre le temps pour se déplacer. Le train de nuit, c'est le slow travelling. Ce que j'adorais par-dessus tout, c'était le service moto-couchette. Je dormais dans le train et un quart d'heure après l'arrivée, je récupérais ma moto. Il existait aussi l'auto-couchette. Et la Compagnie des wagons-lits : on payait un peu plus cher mais c'était très commode. Combien de fois avec ce service j'ai envoyé mes enfants passer les vacances chez leurs grands-parents ? Ils étaient surveillés, ils ne risquaient rien. C'était extrêmement pratique. Petit à petit, tous ces services ont disparu, les uns après les autres. C'est dommage. Surtout que la France a la dimension parfaite pour le train de nuit. On peut la traverser dans tous les sens le temps d'une nuit.»
«Pour moi, le train de nuit, c’est d’abord un gain de temps. Il n’y a pas plus efficace comme mode de transport. Comme me disait un contrôleur l’autre soir, en une heure vous êtes à Paris : trente minutes pour vous endormir, trente minutes pour vous réveiller. Je vis à Perpignan, mais je suis amené à me rendre régulièrement à la capitale pour participer à des réunions professionnelles. L’avion, j’ai chronométré : le temps de me rendre à l’aéroport puis de rejoindre le cœur de ville, j’en ai pour quatre heures. Ce qui veut dire une demi-journée de travail perdue à l’aller, pareil pour le retour, et une nuit d’hôtel. Ce n’est plus la même histoire. Et je ne parle même pas du coût - vous trouvez difficilement un hôtel à moins de 100 euros dans Paris. Forcément, avec la suppression du train de nuit, je vais limiter mes déplacements, je ne monterai que quand je ne pourrai pas faire autrement. Beaucoup d’usagers feront le même arbitrage.
«Notre région Occitanie sera moins représentée dans les instances de décision… Beaucoup de choses se passent et se décident à Paris. Parce qu’au fond, ces trains de nuit, ils permettaient de rendre accessible le centre de décision aux Français éloignés géographiquement. D’ailleurs, leur nom officiel, c’est "trains d’équilibre du territoire", les mots ont leur sens ! Le profil des usagers est extrêmement divers : il y a des personnes comme moi qui l’utilisent pour le travail, des familles aussi, beaucoup. Des étudiants, des militaires. Ou cette dame que j’ai croisée, qui doit se rendre à Paris régulièrement pour des examens médicaux. Le train de nuit était la solution la moins fatigante.»