François Hollande est un judoka. Un de ces dirigeants qui excelle dans le mano a mano politique, utilisant la force de ses adversaires pour les mettre KO. Depuis cinq jours et la parution du dernier livre de confessions présidentielles en date (Un président ne devrait pas dire ça), le chef de l'Etat est engagé dans une partie bien plus compliquée. Sans autre ennemi que lui-même. D'où un état de sidération qui perdure et une communication de crise lente à se mettre en branle à l'Elysée. «Il ne faut jamais se laisser emporter par tel ou tel bout de phrase, sorti de son contexte», enjoint Hollande dans les colonnes de L'Est Républicain lundi. Les propos présidentiels rapportés visent à peu près tout et tout le monde, des magistrats aux joueurs de l'équipe de France de foot en passant par ses ministres ou Alexis Tsipras.
Après la publication des premiers extraits, le chef de l'Etat a oscillé entre le silence et les excuses. Il pouvait d'autant plus difficilement démentir ses propos qu'il a accepté le principe de ces confidences et reçu les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme une soixantaine de fois en cinq ans. Mercredi, à l'heure du déjeuner, il minimise voire justifie. «L'inventaire c'était mon objectif. Je prenais mon risque, je ne savais pas ce qu'ils en feraient mais je restitue ma propre cohérence», explique-t-il en privé. Confronté à l'accélération médiatique, Hollande est obsédé par la trace qu'il laissera dans «le temps long». Les journaux qui commencent à avoir lu le livre distillent de nouveaux extraits au compte-gouttes. La bombe à fragmentation fait son œuvre dans la majorité.
«Retourner la crise»
Jeudi, l'agenda élyséen est vierge de tout rendez-vous mais le président a beaucoup de monde au téléphone. Ses plus vieux amis surtout, qui l'exhortent tous à prendre la parole. «Il se retrouve une nouvelle fois seul au pied du mur. Maintenant, il faut savoir retourner la crise. Il faut agir vite», explique Julien Dray. Le chef de l'Etat, lui, laisse des messages sur les boîtes vocales des plus en colère. Vendredi, la colère des magistrats ne faiblit pas et l'avocat Jean-Pierre Mignard, membre du premier cercle, réclame des excuses publiques. Hollande est contraint de s'exécuter: sortis de leur contexte, ses propos sur l'institution judiciaire provoquent une onde de choc parmi les socialistes les plus légitimistes. L'Elysée communique une lettre du président dans laquelle il regrette «profondément ce qui a pu être ressenti comme une blessure», des propos «sans rapport avec la réalité de (s)a pensée». Et samedi soir, après la cérémonie à Nice et un discours sur l'Europe à Paris, il reçoit l'équipe de l'Est Républicain. Sa troisième visite à Florange, prévue lundi, sert de prétexte pour essayer de déminer le terrain politique.
«J'ai fait face à de nombreuses crises. […] Je n'ai eu aucun répit. Mais j'ai toujours tenu bon», explique le président au quotidien régional. Sans que l'on sache s'il parle des attentats qui ont fait plus de 200 morts en France en deux ans ou des couacs qui sapent son quinquennat avec une régularité de métronome. L'important est de passer le message qu'il est debout et qu'il ne renonce à rien. Il répète qu'il prendra sa décision en décembre, pas avant. Mais «je peux entendre les doutes et les impatiences», concède-t-il à l'heure où la majeure partie de l'état-major socialiste prend ses distances avec un président démonétisé. Le président de l'Assemblée, Claude Bartolone d'abord, puis le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis et enfin Manuel Valls.
«Choisir avec qui on veut perdre»
Après avoir indirectement réclamé au chef de l'Etat un peu de «hauteur de vue», le Premier ministre a ravi ses partisans envoyant un petit signal du Canada où il bouclait une visite officielle. «Je sais ce que je peux représenter pour mon pays», a-t-il confié avant de reprendre le chemin de Paris. Lundi matin, il a rendez-vous avec son premier cercle à Matignon pour un petit-déjeuner hebdomadaire aux faux airs de cellule de crise. Dans l'entourage du chef du gouvernement, certains ne cachent plus leur volonté de le voir prendre la place du président et se présenter à la primaire. «Si les gens arrêtaient la langue de bois, tout le monde dirait aujourd'hui que Hollande ne peut pas être candidat, explique l'un d'eux. Le vrai courage, ça va être de dire: "Ça suffit."» Selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche, 86% des Français ne souhaitent pas que François Hollande brigue un deuxième mandat. «L'après Hollande, c'est Hollande», veut encore croire le patron des sénateurs socialistes, Didier Guillaume, un des rares chefs de la majorité à prendre la parole publiquement depuis la fin de semaine. «En politique, il faut savoir choisir avec qui on veut perdre», philosophait il y a deux semaines un autre hollandais pur sucre.