Tout débute au quartier Codec à Sarcelles (Val-d'Oise), où une bande de potes vit depuis le berceau. Parmi eux, Malik Diallo, 26 ans. Arpentant le bitume parisien, il est bouleversé par la détresse des réfugiés installés sous des tentes dans le XIXe arrondissement. Il partage son sentiment d'impuissance avec un groupe d'amis, dont Diaby Touré, animateur social. Les idées fusent, une action se met en place : mobiliser les habitants de leur quartier pour apporter de la nourriture aux réfugiés. La démarche séduit. Ils préparent plats, sandwichs, et viennent à Paris pour servir 150 repas. Pour faire perdurer la chaîne de solidarité, ils se filment et diffusent sur Facebook une vidéo, qui a atteint 130 000 vues depuis le 29 septembre. «Le Grand Défi», chaîne de solidarité, se met en place.
Nominés. L'ensemble des Lochères concentre une dizaine de barres d'immeubles grises et beiges bordées par l'avenue Pierre-Koenig. Le poumon de la cité se trouve à l'antenne jeunes, au 49. C'est dans ce lieu de vie que les nouveaux «nominés» se préparent. Mamadou Yattabaré, le dernier à relever le défi, est confiant : «Tout le monde en parle dans la ville. Nos mères ont eu les larmes aux yeux en voyant la vidéo. Les commerçants nous soutiennent. On a collecté de l'argent, acheté de la viande, des fruits, des légumes et les femmes du quartier préparent des plats. Vingt voitures partiront pour apporter les repas chauds aux réfugiés. On ira en RER s'il le faut.»
Les Lochères veulent aller plus loin que Codec et les Sablons, autre quartier de Sarcelles. Abdala, 23 ans, est l'animateur de l'antenne jeunes. Il s'est occupé avec d'autres de la collecte, qui comprend aussi des vêtements, des draps et des couvertures. «On a dépensé environ 800 euros, dont 500 au moins chez Metro. Tout le quartier a contribué.»
Bientôt, les plats sont prêts. Mamadou Yattabaré, chauffeur-livreur, est aux anges. Le maire, François Pupponi, appelle ses administrés pour les féliciter. «Après ça, qu'on vienne me dire qu'il n'y a que de la racaille en banlieue», dit-il à Libération.
«Chokran». Il est 20 heures samedi, le ballet des voitures démarre. Les coffres sont chargés à vitesse grand V. «A nous Paris», lance un pilote, tandis que l'autoradio crache du rap américain. Une heure plus tard, tous se garent sur l'avenue de Flandres. Les réfugiés observent, ahuris, la trentaine de banlieusards qui organisent la distribution. «On est venus vous apporter à manger. Faites deux rangées.» «Chokran», disent ces hommes le sourire aux lèvres en levant le pouce. Trente minutes après, la queue ne faiblit pas. «On ne mange pas bien tous les jours. Ces gens sont des anges. J'ai envie de pleurer. Que Dieu les bénisse», dit Abdelaziz. Ce soir-là, plus de 300 repas ont été donnés. Les bénévoles tentent ensuite de distribuer vêtements et couvertures. Mais au regard de l'affluence et des bousculades, les Sarcellois décident de tout ranger. Direction boulevard de la Villette, où se trouvent plusieurs familles. Une distribution anarchique de chaussures, de pantalons, de draps et de plaids démarre à 22 heures. Les sourires radieux habitent les visages des bénévoles et des réfugiés.
L’aventure ne fait que commencer. Le nombre de communes qui prennent le relais et la somme d’initiatives affole les compteurs. Après les quartiers Codec, Sablons, Lochères, le défi quitte la ville de Sarcelles. Mamadou Yattabaré a en effet nominé un habitant d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et un autre de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise).