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Libération
Éditorial

Débat sur les crèches : pas d’feu aux santons

publié le 21 octobre 2016 à 20h11

Par les temps qui courent, les débats politiques, à force d'invoquer la laïcité, pourraient accabler. Voilà donc le très sérieux Conseil d'Etat contraint de trancher une question qui, comme le burkini cet été, pourrait, en d'autres circonstances et vu de plus loin (et sans doute de plus haut) que l'Hexagone, prêter à de grands éclats de rire. Il a fallu que la plus haute instance administrative du pays se livre, ce vendredi, à une grave réflexion juridique et philosophique, une exégèse patrimoniale : qu'est-ce donc ontologiquement qu'une crèche ? Un symbole religieux ? Une coutume culturelle et festive ? L'un excluant l'autre ou l'un s'additionnant à l'autre ? Un vilain piège, en fait. On imagine mal, à deux mois des fêtes de fin d'année, le Conseil d'Etat interdire purement et simplement les crèches dans les bâtiments publics (les mairies ou les conseils généraux, en l'occurrence) après avoir de facto, fin août, autorisé le port du burkini sur les plages en invalidant les arrêtés pris par quelques municipalités. On imagine le tollé que susciterait cette décision qui mettrait, comme si on en avait besoin, un peu plus d'huile sur le feu : des cris d'orfraie de tous les identitaires et de leurs affidés, des tweets rageurs de l'abbé Grosjean, une chronique vengeresse d'Eugénie Bastié, une homélie courroucée du très réactionnaire évêque de Bayonne, Marc Aillet, et peut-être même un défilé (maigrelet) de Civitas. On imagine aussi les politiques sommés, les uns après les autres, de prendre position pour ou contre l'âne et le bœuf. Pour se sortir de l'ornière, le Conseil d'Etat, très agité ces jours-ci par cette question, devra trouver une voie médiane, assortir l'autorisation de quelques interdictions. Pourtant, il n'échappe à personne que si la crèche a fait, l'hiver dernier, sa réapparition dans plusieurs bâtiments publics, ce n'était pas pour défier la loi de 1905 et la laïcité. N'en déplaise à la Fédération nationale de la libre pensée qui a porté le débat sur le terrain juridique. Mettons de côté des traditions bien établies comme celles de l'Alsace concordataire. Le message envoyé par ces maires était d'affirmer haut et fort les «racines chrétiennes» de la France. Non pour faire plaisir à quelques électeurs catholiques intransigeants. Mais pour faire pièce à «l'islamisation rampante» qu'ils redoutent et fantasment. Bref, le clash des civilisations à portée de santons. Voilà comment on prend en otages le droit et les débats de fond.