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Billet

Affaire Wildenstein : vices de fonds et de forme

Le procès des marchands de tableaux s'est achevé jeudi sur une interrogation : seront-ils condamnés pour fraude fiscale ou relaxés pour pataquès procédural ?
Le marchand d'art franco-américain Guy Wildenstein et son avocat, Hervé Temime, le 4 janvier à Paris. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 23 octobre 2016 à 18h01

On n'a pas fini d'entendre parler de l'affaire Wildenstein. Le procès de cette dynastie de marchands de tableaux, adepte de flux offshore, s'est achevé jeudi, le jugement sera rendu le 12 janvier. Mais l'imbroglio juridico-fiscal est tel qu'il ne sera pas soldé avant de nombreuses années – en appel, cassation, devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)… Le procès en première instance, devant le tribunal correctionnel de Paris, aura au moins eu le mérite de déblayer le terrain.

A l'audience, le parquet national financier (PNF) a sorti l'artillerie lourde, requérant deux ans de prison ferme contre Guy Wildenstein, ultime chef de clan, un an ferme contre deux avocats fiscalistes et de lourdes peines d'amende contre deux autres banquiers. Justifiant ainsi l'adage selon lequel il n'y a pas de blanchiment (de fraude fiscale, en l'espèce) sans le concours d'avocats ou de banquiers. La représentante du PNF, Monica d'Onofrio, a surtout délivré une leçon de morale : «C'est une honte ! Cette fortune apatride, elle est déclarée où ? Nulle part. Vous pensez que c'est une niche fiscale mondiale ?» L'accusation étrille à l'occasion Daniel et Alec Wildenstein (décédés en 2001 et 2008), touristes de la mondialisation financière et fiscale, ne revenant en France que pour s'y faire soigner avant de mourir, aux frais du contribuable hexagonal : «Ces impressionnistes qui se sentent américains ou suisses mais qui profitent de ce que leur pays, la France, ses hôpitaux, a de plus beau sans lui donner l'impôt dû.» Bref, l'affaire Wildenstein serait la «fraude fiscale la plus longue et la plus sophistiquée de la Ve République.» Tirade admirable à laquelle Libération souscrit entièrement, nonobstant quelques pataquès de procédure.

Smala

La défense ayant la parole en dernier, elle a fait feu de tout bois, multipliant les objections de forme, à défaut de fond. Arguties procédurales, dira-t-on, proverbiales en matière de délinquance financière, défense du pauvre… Sauf qu’il y a là un vrai sujet – et un véritable problème pour la justice française. Hervé Temime, l’un des avocats de Guy Wildenstein, souligne qu’il est difficile de condamner – pénalement – pour fraude fiscale un contribuable n’ayant pas été redressé – administrativement – pour le même motif.

L'été dernier, le Conseil constitutionnel, statuant sur la dualité des poursuites en matière fiscale (à propos des affaires Cahuzac et Wildenstein), proclamait en effet qu'on ne saurait poursuivre au pénal un contribuable dont la situation fiscale n'aurait pas été préalablement dénoncée par Bercy. A l'époque, d'aucuns avaient ricané : pourquoi les «sages» auraient-ils envisagé un tel pataquès ? Sauf que le cas Wildenstein entre parfaitement dans cet angle mort : le redressement fiscal diligenté par Bercy (550 millions d'euros, autre record) est contesté devant les tribunaux civils par la smala – il n'est donc pas jugé définitivement à ce jour. Un tribunal pénal ne saurait donc, comme l'a requis le parquet, leur infliger une amende supplémentaire de 250 millions pour mauvaise foi. «La relaxe, c'est la seule décision que vous pouvez rendre», s'est exclamé Me Temime.

Trusts

Son confrère Eric Dezeuze s’est lui attaché à cette autre particularité de l’affaire Wildenstein, l’usage immodéré de trusts immatriculés sous les tropiques. La législation française – et plus encore la justice hexagonale – a toujours eu du mal à appréhender ce type de structure anglo-saxonne, où il s’agit de loger des actifs au nom d’un tiers.

A la barre, Guy Wildenstein n'a guère contribué à éclairer le tribunal, estimant s'être «dessaisi» de centaines de toiles de maîtres (dont la valeur globale oscille entre 3 et 10 milliards d'euros), mais non pas «dépossédé»… Subtile nuance que le Parlement français a tenté de surmonter en juillet 2011, obligeant les contribuables à déclarer leurs biens logés dans des trusts – mais sans effet rétroactif. «Cette loi confirme-t-elle ou innove ? fait mine de s'interroger MDezeuze. Les deux, mon trésorier-payeur-général !» Avant de souhaiter «bonne chance» au tribunal correctionnel, et plus encore au «représentant de la France devant la CEDH [Cour européenne des droits de l'homme, ndlr]», qui sera amenée à statuer dans quelques années. Car d'ici là, les Wildenstein n'entendent rien lâcher en multipliant tous les recours possibles.