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Elections dans les TPE : «Tant que j’ai un travail, je me tais»

A Soissons, «Libération» a suivi les militants CFDT en campagne dans les entreprises de moins de 11 salariés. A un mois du premier tour, les syndicalistes y rencontrent défiance et peur du chômage.
Des militants CFDT en campagne à Soissons, le 10 octobre. (Photo Cyril Zannettacci pour «Libération»)
publié le 23 octobre 2016 à 17h41

Tout y est. L'affiche, estampillée CFDT, «Votez pour les candidat-es qui vous ressemblent» est en bonne place. Sur une table, des brochures et des goodies, bouchons antibruit et préservatifs. Autour, une quinzaine de militants du syndicat réformiste proposent cafés, bonbons et explications sur les élections professionnelles dans les TPE (lire ci-contre). En cette matinée de braderie, à Soissons, les rues du centre-ville fourmillent plus que d'habitude. L'occasion de «rencontrer un maximum de gens», explique Alexandre Boutté, secrétaire régional CFDT en charge de la campagne en Picardie, avant de quitter le stand avec trois autres militants. Direction les rues de la ville, à la recherche de travailleurs d'entreprises de moins de onze salariés, ceux appelés à voter le 28 novembre et le 12 décembre pour choisir leurs représentants. Le but : les intéresser au scrutin et surtout les convaincre de «bien voter pour que la CFDT devienne le premier syndicat de France».

Premier arrêt dans une boutique. Mauvaise pioche : l'entreprise, une franchise, compte plus de onze salariés. Par ailleurs, des délégués CGT y sont déjà implantés. «Eh bien, quand vous verrez à la télé des gens brûler des voitures pendant les manifs, vous saurez que c'est peut-être vos élus», lâche à la serveuse du magasin Thierry Doyen, membre du syndicat. Tout au long de la tournée, la CGT n'est guère épargnée par les militants. Le syndicaliste se défend toutefois de taper sur la centrale de Philippe Martinez : «On explique simplement aux gens qu'ils ont plus à gagner avec nous. Que pour la CFDT, il faut toujours négocier. Quitte, des fois, à accepter un recul des avantages pour mieux avancer ensuite. Que les patrons ne sont pas tous des cons, qu'ils ont des problématiques de marché. Et que cela, la CGT, trop basique, ne le prend jamais en compte.»

«Pas assez offensifs»

Sur le trottoir d'en face, l'équipe rejoue son argumentaire dans une brasserie. D'entrée de jeu, Alexandre Boutté souligne les enjeux du vote : «Pour la première fois, vous allez pouvoir choisir des représentants qui pourront intervenir en cas de litiges dans les TPE.» S'ensuivent quelques mots sur la généralisation de la mutuelle santé payée en partie par les employeurs, «une mesure obtenue par la CFDT», et sur les droits à la formation. «On ne présente la CFDT que si on nous pose des questions, car au printemps, on a parfois été pris à partie. Dans le contexte de la loi travail, l'image du syndicalisme a souffert.» Pourquoi ? «A cause du blocage de la CGT et de FO», assure le cédétiste. Seulement ? «Non, certains nous disaient aussi qu'ils ne nous trouvaient pas assez offensifs…»

Ici, les salariées présentes n'ont pas entendu parler des élections TPE. Et guère plus de la réforme du code du travail. Polies, elles prennent la doc, promettent d'y jeter un coup d'œil. Jeanne, 45 ans, seconde de cuisine, ne s'est jamais syndiquée. «Je ne connais pas trop le milieu, dit-elle. Mais c'est vrai que, peut-être, cela peut améliorer les choses.» Lesquelles ? La cuisinière sèche. Avant de poursuivre : «Avant d'être ici, je travaillais dans un autre petit restaurant. Je n'ai jamais pensé à prendre une carte. Pourtant, quand j'ai été licenciée, être syndiquée m'aurait été utile. Les démarches ont été si compliquées.» Depuis, elle n'a toujours pas sauté le pas, parce que «les syndicats ne défendent pas les salariés, mais leurs propres intérêts», lâche-t-elle devant la troupe CFDT. Un désamour qu'Alexandre Boutté explique aussi par «un manque de connaissances» et par «la peur», celle d'être mal vue par son employeur.

Nouvelle étape : une boulangerie. Deux salariés, Andy et Cyril, prennent quelques minutes, le temps d'une pause, pour échanger. Au passage, ils empochent gobelets en plastique et stylos. «Des petits cadeaux», précise un membre de la CFDT. Boutté leur glisse un mot sur le compte pénibilité, mais là aussi, l'info fait flop. «Ici on a tout ce qu'on veut : une machine à café, une cour extérieure», résume un des deux salariés, qui peine à voir l'intérêt des syndicats et fustige, à son tour, la CGT qui «bloque tout». Son collègue nuance : «Le problème, c'est que vous, les autres syndicats, on ne vous voit pas beaucoup.» Même son de cloche dans une jardinerie, en lisière de centre-ville, où continue le périple. «Les syndicats, ils nous envoient juste des courriers. Ça fait dix ans que je suis ici, vous êtes les premiers à passer», commente Benjamin, préparateur en commande, autour d'une rangée de pensées. Comme beaucoup d'autres salariés rencontrés au fil de la journée, il n'a pas voté en 2012. Lui voudrait que les syndicalistes soit plus présents pour se battre sur les salaires, «car la vie est de plus en plus chère». «On manque de temps», concède un cédétiste.

«L’emploi est scindé»

Dans la région, le syndicalisme souffre, comme ailleurs. En vingt ans, le bassin a perdu ses fleurons industriels : Wolber-Michelin, BSL industries, Berthier. «Les organisations syndicales étaient implantées dans ces grandes usines, mais elles ont fermé. Aujourd'hui, l'emploi est scindé. Comment faire du syndicalisme dans cette situation ?» s'interroge un militant. En Picardie, la CFDT compte désormais 70 permanents, estime Alexandre Boutté. Résultat, elle n'a «pas le temps pour le terrain», reconnaît-il. «A Soissons, plus personne ne veut tenir la permanence juridique», ajoute un autre, membre de l'union locale.

Quant aux nouveaux conseillers des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, élus à l'occasion de ce scrutin, ils n'auront que quinze heures par trimestre pour assurer leur mission. «C'est faible», poursuit Boutté. Difficile dans ces conditions pour ces représentants de venir porter assistance à des employés de TPE isolés qui négocieront un accord sur le temps de travail avec leur employeur. Pourtant, ces derniers sont concernés par les abus au code du travail. «Dans les petites boîtes, les patrons trouvent n'importe quelle excuse pour se débarrasser d'un salarié. Il y a aussi les congés payés oubliés, les heures sup non payées, les dépassements horaires. Ils ont plus de mal à se défendre, d'autant qu'ils ne connaissent pas leurs droits, pointe Dany Ridel, de la CFDT Beauvais. Le problème, c'est qu'ils pensent que les syndicats les laissent tomber. Alors, ils ne viennent nous voir que quand ils sont au pied du mur.»

Pire, ces salariés peinent à croire en l'amélioration de leurs conditions de travail ou l'acquisition de nouveaux droits. Voire n'y songent même pas. Des Tickets resto ? «Oh, vous savez, ce n'est pas la priorité. Tant qu'il y a une bonne ambiance de travail avec le patron…» pointe Nicolas, jardinier apprenti. «Les syndicats, c'est plutôt pour les grandes entreprises», ajoute Delphine, enseignante en auto-école. «Ici, il n'y a plus de travail. Alors, quand on a une place, on tient à la garder. Il n'y a pas de revendications, les gens s'habituent à tout, ils se disent "c'est comme ça, tant que j'ai un travail, je me tais"», conclut une militante restée derrière le stand CFDT. Toute la journée, elle a tenté de convaincre les passants, sans trop de succès : «Une personne sur cinq était au courant ou intéressée par l'élection. Les autres… Ils nous regardaient ou prenaient un stylo. Mais il n'y a pas eu trop d'échanges.»