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Libération
Enquête

A Monaco, la principauté régente même le ciel

publié le 25 octobre 2016 à 19h21

Monaco paraît prendre un malin plaisir à se comporter en principauté bananière. En cause cette fois, l'attribution à la famille Casiraghi, celle de Caroline, sœur du prince Albert, d'un marché public des plus symboliques, le transport en hélicoptère entre l'aéroport de Nice et le Rocher. L'ancien titulaire du marché a assigné l'Etat monégasque et lui réclame 40 millions d'euros. Voie d'entrée naturelle pour toutes les fortunes de passage, cette ligne d'hélico-taxis est l'une des plus fréquentées au monde. Elle était assurée jusqu'en 2015 par la société Héli Air Monaco (HAM), aux mains d'une vieille famille locale. Motif officiel de la résiliation : «Intérêt général», HAM n'étant pas assez VIP. Ce qui n'est pas le cas du nouveau bénéficiaire, Monacair, estampillé «fournisseur breveté de S.A.S. le Prince souverain de Monaco» et de sa famille, sous Rainier III puis sous Albert II, en tant que prestataire privé. La commission chargée de départager les deux candidats lors de l'appel d'offres ne s'y est pas trompée : les hélicos de HAM sont décriés. «Leur niveau de confort intérieur, l'absence de climatisation ne correspondent pas aux objectifs de qualité recherchés par l'Etat.» Quand ceux de Monacair sont vantés : «Les services VIP sont développés, l'offre reflète un niveau d'excellence qui correspond aux attentes de l'Etat.»

Perle. Mais quelques détails fâchent. Pour passer du statut de simple hélico-taxi à exploitant d'une ligne régulière, Monacair a besoin d'appareils neufs. «La nouvelle flotte prévue dès le début 2016 permettra une modernisation immédiate de la qualité de service», écrit la commission en juin 2015 au moment de classer en tête ce «fournisseur breveté de S.A.S». Or, le délai de livraison d'un hélicoptère est de dix mois chez Airbus. Pour être prêt six mois plus tard, Monacair a semble-t-il largement anticipé le résultat des courses… HAM s'était aussi engagé à acheter des hélicos flambant neufs, mais pas exploitables avant 2017, délais de livraison obligent : «Ce calendrier ne permet pas de moderniser le service dès l'origine du contrat» balaiera la commission.

Autre curiosité, cette perle contenue dans une annexe de ce document : «Si Monacair est attributaire de la ligne régulière, un renforcement de la participation des actionnaires monégasques est envisagé.» Ce n'est pourtant un mystère pour personne : fondé par Stefano Casiraghi, feu le mari de Caroline Grimaldi, ce transporteur «appartient pour partie à ses enfants» Andrea et Pierre, confirme un courrier de son avocat dans le cadre d'un récent litige judiciaire entre Monacair et HAM. Charme des paradis fiscaux ou bancaires, Monacair est également contrôlée à 70 % par une société française, Skygroup, elle-même possédée à 70 % par une coquille grand-ducale, JCM Lux, elle-même intégralement détenue par une structure des îles Vierges, Marjeca Investment. Ces 70 % baladeurs semblent aux mains de Gilbert Schweitzer, pilote émérite reconverti gestionnaire d'hélicos (assistance en montagne, suivi du Tour de France…). Si ce dernier est directeur opérationnel, Monacair Group est présidé par Pierre Casiraghi.

«Spoliation». Etre de la famille princière reste donc un sésame pour les affaires sur le Rocher. Jacques Crovetto, fondateur de HAM, dénonce une «spoliation». «Un conflit ouvert n'est dans l'intérêt de personne», avait convenu Michel Roger, sorte de Premier ministre du monarque. Claude Palmero, fort de son titre d'«administrateur des biens de S.A.S. le Prince Albert II», s'y était attelé l'an dernier, promettant un «geste financier» si HAM se montrait «raisonnable». Echec. Place donc au procès dans les jours qui viennent, au risque, comme le redoute le Rocher, de «porter atteinte à l'image de Monaco.»