Une trentaine d'hommes ont intégré mardi le centre d'accueil pour migrants de Forges-les-Bains. Emmaüs Solidarité, qui gère l'établissement, s'attendait à une arrivée «imminente» et n'a été informé qu'au dernier moment. L'annonce, en août, de la venue de 91 étrangers dans cette petite ville de l'Essonne, avait créé tensions et débordements, jusqu'à un incendie criminel déclenché dans un des bâtiments début septembre. Même si la toiture en porte toujours les traces, 44 Afghans se sont installés dans une autre aile. Dans le parc, les locaux qui doivent accueillir les nouveaux venus sont en cours de finition : dernière couche de peinture (jaune, vert, violet…) et agencement des pièces avec deux ou trois lits.
Langue. Parmi les réfugiés déjà présents, Hakimullah s'est bien approprié sa chambre. «Welcome to my house», dit-il, jovial, pendant sa pause café. L'homme sort d'une leçon de français et a dans la main une photocopie avec des mots traduits : «Chat, ballon, olive…» On leur enseigne aussi des phrases prêtes à l'emploi : «Allô, bonjour, je suis malade, je voudrais prendre un rendez-vous.» Sur les portes, toute signalétique («privé», «administration»…) est écrite en français, en pachto et en arabe. Hakimullah a de grands yeux bleus et une appétence pour le droit, qu'il étudiait en Afghanistan. Il baragouine quelques mots de français : «Le manger, ici, c'est bon. Et j'ai le respect.» L'étape précédente, pour lui et beaucoup de ses compatriotes pensionnaires, c'était un gymnase à «Massy-Palaiseau» (Essonne), un nom qu'il répète, martelant les syllabes. Il en parle en grimaçant. Là-bas, ils étaient 100 et n'avaient droit à aucune intimité. Avant, il a connu les camps de fortune parisiens.
D'autres, à côté de lui, sont peut-être passés par Calais. «Les parcours sont difficiles à retracer», explique Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarité. A cause de la barrière de la langue, «la communication est très instinctive entre eux et nous. On utilise la gestuelle et on en rigole. On s'amuse de cette incompréhension, ça crée du lien», précise une éducatrice.
«Vigilants». Un peu plus loin, Shazada, tout endimanché, vient de rentrer. Le trentenaire désigne sa bouche. Avec son voisin, à l'air encore anesthésié, ils étaient chez le dentiste. En anglais, Shazada raconte pourquoi il a quitté son pays voilà six mois, laissant sa famille : «Je n'aime pas la violence.» C'est précisément pour ça, dit-il, que les Forgeois «n'ont aucune raison d'avoir peur» : «Je suis parti pour trouver du calme, ne plus devoir lutter et avoir une vie convenable. Mais je n'en veux pas aux habitants. Je suis juste très, très fatigué de tout.» A leur arrivée, on a expliqué aux pensionnaires que l'ouverture du centre avait été tourmentée. «On leur a parlé des réserves exprimées et on leur a demandé d'être vigilants dans leur comportement», précise Bruno Morel. En revanche, ils ignorent tout de l'incendie. Inutile de les paniquer «après leur expérience traumatique de l'exil».
Même si le séjour ici n'excédera pas trois mois et vise à accomplir des démarches administratives, l'objectif est aussi de «leur donner un peu de temps pour se poser dans un vrai lit, avec un peu d'intimité». Outre la manifestation hostile organisée dans la ville quelques jours après l'installation des migrants en octobre, le calme semble être revenu. La liste des bénévoles désirant prêter main-forte, elle, ne cesse de s'allonger.