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Evacuation

Mineurs à Calais : de la «jungle» aux conteneurs

Sur les 1 390 adolescents et enfants présents dans le bidonville, 200 ont été autorisés la semaine dernière à rejoindre leur famille au Royaume-Uni. Les autres sont hébergés dans un centre d’accueil provisoire.
Les conteneurs prévus pour accueillir provisoirement les migrants mineurs à Calais. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
publié le 25 octobre 2016 à 20h11

Ils s’appellent Yussef, Anatola, Samir, Faycal, Muhamad Muktar ou Schnan. Ils ont entre 13 et 17 ans. A l’âge des premiers flirts, eux sont partis en exil. Quittant le Soudan, l’Erythrée, l’Ethiopie ou l’Afghanistan, ils ont rêvé de gagner l’Angleterre et ont atterri dans la zone industrielle des Dunes, à Calais. Une «jungle» où vivaient plusieurs milliers d’hommes et de femmes, dont 1 390 mineurs selon le dernier recensement de France Terre d’asile, et que le gouvernement français a commencé, lundi, à démanteler. Pour ces enfants et adolescents, surtout ceux qui ont de la famille outre-Manche, c’est l’espoir d’atteindre enfin leur but. Pour d’autres, majeurs, c’est celui de se glisser entre les mailles du filet.

Sélection au faciès

Dans le grand hangar destiné à répartir les migrants vers les centres d'accueil et d'orientation (CAO), situés partout en France, trois files ont été dressées : une pour les majeurs, une pour les familles, une pour les mineurs. Cette troisième file, c'est un peu le graal. Mardi, deux hommes manifestement majeurs s'y sont ainsi glissés sous nos yeux, profitant d'une baisse d'attention des forces de l'ordre. Pour qui veut gagner l'Angleterre, se faire passer pour mineur semble le meilleur pari : la semaine dernière, 200 enfants et adolescents issus du campement de Calais ont été envoyés au Royaume-Uni pour rejoindre leur famille, soit près de trois fois plus que sur le reste de l'année, selon la préfecture du Pas-de-Calais. Depuis, le mot italien bambino («enfant») a rejoint le podium des termes les plus prononcés dans le campement, avec underage («mineur» en anglais).

De fait, le contrôle de l'âge des migrants se fait surtout au faciès, beaucoup n'ayant pas de papiers d'identité. Mais ce n'est pas si simple : une fois dans la file des mineurs, un premier tri visuel est effectué, puis, en cas de doute, un agent britannique du ministère de l'Intérieur (Home Office) et un membre de France Terre d'asile font passer un entretien, d'une durée de quinze à vingt minutes, pour s'assurer que la personne a bien moins de 18 ans. De la nature des questions posées, le Home Office ne dira rien. Mais le comportement, la façon de parler, sont pris en compte. La méthode n'est pas infaillible. Dans le campement, Yussef, qui dit avoir 16 ans, nous a affirmé avoir été rejeté de la file. «Une femme française m'a dit que je n'étais pas mineur. Je ne sais pas ce que je vais faire», raconte ce jeune Afghan. Lorsqu'ils sont considérés comme mineurs, les migrants sont envoyés au centre d'accueil provisoire (CAP), qui compte 1 500 places et est situé au fond de la jungle. Ils y sont hebergés par douze dans des conteneurs avec des lits superposés et des prises électriques, libérés par les personnes majeures qui y étaient jusqu'ici accueillies. Près de 700 adolescents ont ainsi été orientés vers ce centre entre lundi et mardi matin. «On les reçoit, on leur demande quel est leur projet, explique Barbara Jurkiewicz, chargée de communication de la Vie active, qui gère les lieux. Ils peuvent rester quelques jours ou plusieurs mois.» Ils y retrouvent aussi un cadre. «Ce sont des ados, donc ça les fait marrer de passer au-dessus des barrières au lieu de la porte, mais il n'y a pas de problème de discipline», poursuit la jeune femme. Selon elle, «il n'y a jamais eu autant de mineurs qu'aujourd'hui dans la jungle de Calais».

Individu vulnérable

Trois éducateurs spécialisés sont présents, et des cours de français, d’anglais et de mathématiques leur sont proposés. C’est là qu’ils attendent, entre deux parties de foot, leur entretien avec les représentants britanniques, qui détermineront s’ils ont droit ou non au rapprochement familial. Il faut avoir un frère ou une sœur, un oncle ou une tante, un père ou une mère déjà présent au Royaume-Uni pour y accéder.

Lors de notre visite du centre, mardi après-midi, on n’a pas rencontré un seul ado prêt à rester en France. On en a bien croisé un qui nous a demandé de remercier Hollande, un autre qui a loué la police française. Mais tous voient leur vie en Angleterre, près de leurs proches. Hundessa Hussein, qui est oromo, dit avoir 15 ans. Il veut rejoindre son frère, âgé de 17 ans, à Londres, et devenir footballeur. Ahsanullah, 13 ans, a quitté l’Afghanistan il y a six mois. Il dit avoir traversé la Turquie et la Serbie, seul. Lui veut devenir médecin. A 16 ans, Dechasa, originaire d’Ethiopie, a déjà passé quatre mois dans la jungle. Son frère habite Glasgow, en Ecosse. Son rêve : le rejoindre et devenir professeur. Pour Anatola, cela risque d’être plus compliqué. Cet Afghan qui dit avoir passé six mois à Calais n’a pas de famille en Angleterre. S’il n’est pas considéré comme un «individu vulnérable» (autre moyen légal de passer la Manche, selon l’amendement Dubs activé en début de semaine), il restera en France et sera transféré dans un CAO dédié aux mineurs. Il y restera quelques semaines, le temps que le dispositif de l’aide sociale à l’enfance, une compétence départementale, soit en mesure d’absorber son arrivée et celle de tous les autres enfants et adolescents refusés par les Britanniques. Une perspective qu’Anatola, 14 ans, préfère ne pas envisager.