Ouisa Kies est sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle a participé en 2015 à un programme de recherche-action dans les prisons françaises.
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Comment accueillez-vous la décision du ministre de la Justice de mettre fin aux unités de prise en charge de la radicalisation (Upra) ?
J'ai toujours eu beaucoup de réserves sur le bien-fondé de ces Upra, baptisées auparavant «unités dédiées». Peu après les attentats de janvier 2015, le gouvernement a dû, dans l'empressement, annoncer des choses sans réflexion préalable. Les Upra en faisaient partie, même si elles ont été habillées d'une précaution expérimentale. De fait, il m'a toujours semblé contestable de rassembler des individus prévenus pour les mêmes faits - liés au terrorisme - au sein d'un même quartier. On a bien vu que lors de son attaque de deux surveillants à la maison d'arrêt d'Osny [Val-d'Oise, ndlr], Bilal Taghi avait a minima bénéficié de la bienveillance des autres détenus présents dans l'Upra. En effet, en concentrant les mêmes profils au même endroit, vous créez une dynamique de groupe, un contrôle social dont il est difficile de s'affranchir. Comment, lorsque l'on partage la même idéologie, peut-on ne pas participer et-ou condamner des actions prônées directement par l'Etat islamique (EI) ?
Beaucoup de rumeurs ont circulé sur la vie au sein de ces Upra. Il a notamment été dit que le personnel pénitentiaire féminin ne pouvait parfois plus y entrer ?
A la prison de Fresnes (Val-de-Marne) effectivement, un ou deux individus avaient décidé de ne pas regagner leurs cellules après la promenade tant que des femmes surveillantes intervenaient au sein de l’Upra. C’est à ce type de comportement que l’on cerne la pression exercée par le groupe. Si un détenu refuse de se plier à ces règles, il y a des risques de représailles.
Le ministre met fin aux Upra, mais annonce la création de quartiers «d’évaluation». Est-il possible d’évaluer la dangerosité d’un individu ?
La dangerosité d’un détenu ne peut s’évaluer qu’en observant son comportement dans un environnement défini. Actuellement, les évaluations de dangerosité se font via des programmes de six semaines, essentiellement basés sur des entretiens. Or, outre le fait que ce soit bien trop court, on sait aujourd’hui que les détenus radicalisés s’adaptent aux questions qui leur sont posées. Au sein même de l’Etat islamique, des conseils sont dispensés pour que les «soldats» ne laissent rien transparaître de leur détermination à passer à l’acte. Ces comportements existaient déjà au temps des nationalistes corses et basques. Toute mouvance radicale propose une adaptation à la réponse pénale.
La fin des Upra ne clarifie pas pour autant la prise en charge des détenus radicalisés. Comment envisagez-vous la suite ?
La fin des Upra est une décision courageuse, mais pas suffisante. Il faut engager une sérieuse réflexion sur l’incarcération quasi systématique - près de 90 % - des personnes rentrant d’Irak et de Syrie. Si certaines sont à l’évidence très dangereuses et nécessitent des mesures d’isolement, d’autres pourraient faire l’objet d’un d’accompagnement sécuritaire, mais aussi éducatif et social. L’individualisation des parcours en détention doit être la règle. Enfin, il faut cesser les ajustements politiques spectaculaires répondant à des événements et privilégier les retours d’expérience basés sur des travaux scientifiques.