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Libération
Bis repetita

Jacqueline Veyrac, raptée mais vernie

Enlevée il y a trois jours à Nice, en pleine rue, la femme d’affaires a été retrouvée saine et sauve mercredi, ligotée à l’arrière d’une voiture. Déjà victime en 2013 d’une tentative de kidnapping, la septuagénaire avait alors fait fuir ses ravisseurs en se débattant. Rançon ou vues sur l’héritage, le mobile reste flou.
Vue sur le site où a été retrouvée saine et sauve Jacqueline Veyrac, la propriétaire d'un hôtel cinq étoiles de Cannes enlevée près de chez elle, à Nice, le 26 octobre 2016 (Photo VALERY HACHE. AFP)
par Julie Brafman et Erika Landal
publié le 26 octobre 2016 à 20h21

Qui en veut à la veuve Veyrac ? Pour la deuxième fois de sa vie, cette riche femme d’affaires, présidente du conseil d’administration du Grand Hôtel - un établissement cinq étoiles situé sur la Croisette, à Cannes - a été victime d’un enlèvement. Et une fois encore, elle est parvenue à échapper à ses ravisseurs. Deux jours après son spectaculaire kidnapping en plein centre de Nice, la dame de 76 ans a été retrouvée saine et sauve mercredi.

Jacqueline Veyrac doit son salut à un habitant du quartier Saquier, à l'ouest de la ville, dans la plaine du Var, qui a repéré un véhicule utilitaire suspect. «C'est la plaque d'immatriculation défectueuse qui a attiré son attention», précise Jean-Michel Prêtre, le procureur de la République de Nice. L'homme, intrigué, aurait alors jeté un coup d'œil par la vitre et aperçu la captive, ligotée à l'arrière. «Elle n'est pas gravement blessée mais a tout de même passé quarante-huit heures à l'arrière de ce véhicule», indique le procureur. Jacqueline Veyrac n'aurait donc pas quitté la fourgonnette dans laquelle elle a été enlevée lundi.

Copié-collé. La police judiciaire de Nice mise désormais sur le témoignage de la veuve afin de faire la lumière sur cette affaire «tout à fait exceptionnelle». Impossible de ne pas penser au kidnapping du baron Empain qui avait marqué les esprits en 1978. A l'époque, cet homme d'affaires fortuné, PDG du groupe Empain-Schneider, avait été enlevé à la sortie de son domicile parisien alors qu'il montait en voiture. Tout s'était passé très vite : trois individus l'avaient précipité à l'arrière d'une camionnette blanche et étaient partis en trombe. S'ensuivirent soixante-trois jours de captivité. Le scénario de l'enlèvement dans «l'affaire Veyrac» prend des airs de copié-collé.

Lundi, entre 12 h 15 et 12 h 30, dans une discrète ruelle près du boulevard Gambetta à Nice, la veuve sort de son garage dans son 4 × 4 noir. Deux individus encagoulés l'extirpent de sa voiture et la contraignent à monter dans une estafette blanche qui démarre aussitôt. La scène dure à peine quelques secondes, en plein jour, devant des passants médusés. Emilie, pharmacienne à l'angle des avenues Gambetta et Emilia, n'en revient toujours pas : «Madame Veyrac est sortie de la pharmacie. Quelques minutes plus tard, une factrice est entrée en criant : "Il y a eu un enlèvement".» Et d'ajouter : «Trois hommes lui ont mis un foulard sur le nez puis l'ont mise à l'arrière d'un petit utilitaire. On se serait cru dans un film.»

La pharmacienne a ainsi prévenu aussitôt la police et une enquête a été ouverte pour «enlèvement et séquestration en bande organisée» et «association de malfaiteurs».

Jacqueline Veyrac est une figure bien connue sur la Côte d’Azur. Elle est à l’origine de la renaissance du Grand Hôtel de Cannes, un palace construit en 1863 en même temps que la Croisette et racheté à la famille Crawford par son beau-père, Gérard Veyrac.

Outre ce luxueux hôtel, Jacqueline Veyrac détient plusieurs affaires dans le tourisme et l'immobilier. Elle est notamment gérante de la Réserve, un restaurant chic situé en bord de mer près du port de Nice. «A chaque fois que je suis allé manger dans son établissement, je l'ai vue. Elle m'a laissé l'impression d'une femme charmante, simple, avenante et à l'écoute», évoque Hubert Boivin, président de l'Union patronale des cafetiers restaurateurs de la Côte d'Azur. A Cannes aussi, le président du syndicat des hôteliers, Michel Chevillon, dépeint une femme «pas mondaine» et «proche des gens». De l'avis général, la septuagénaire n'était pas du genre à faire étalage de son patrimoine.

Etincelles. Si le mobile des malfaiteurs reste encore flou - espéraient-ils une rançon ? est-ce lié à la succession de la veuve ? -, une chose est sûre : ses enfants ont vécu quarante-huit heures d'angoisse, sans nouvelles de leur mère. De quoi raviver de douloureux souvenirs. En 2013, Jacqueline Veyrac s'était déjà retrouvée au cœur d'un enlèvement rocambolesque. Ses assaillants avaient réussi à l'enfermer dans le coffre d'une voiture mais elle s'était dégagée en se débattant. Des voisins avaient donné l'alerte et elle avait été libérée. L'affaire n'avait eu aucune suite judiciaire.

Coïncidence ou non, cette année-là, la veuve avait dérogé à sa traditionnelle discrétion pour fêter les 50 ans du Grand Hôtel de Cannes. Sur les photos de la garden-party, elle apparaissait souriante, découpant une gigantesque pièce montée sous une pluie d’étincelles. Cette apparition publique a-t-elle, à l’époque, donné des idées aux ravisseurs ? Ont-ils récidivé cette semaine ?

Pour le moment, aucun lien n'a été établi entre les deux enlèvements. «On n'en sait pas plus sur les circonstances, indique Me Sophie Jonquet, l'avocate des enfants. Le soulagement est immense de savoir que Jacqueline Veyrac a pu retrouver les siens.» Avant de préciser : «Elle se constituera très certainement partie civile.» Mercredi, des suspects ont été placés en garde à vue sans que leur implication ne puisse à ce stade être confirmée. Le procureur a seulement souligné : «Il n'est pas évident que les exécutants soient les commanditaires.»