Un bois, une brume d’automne et un calme à peine troublé par le passage de quelques voitures. Construit au milieu des arbres, entre une petite route et les rails du RER, le lycée professionnel Hélène-Boucher de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) accueille un peu plus de 500 élèves.
En ce milieu du mois d’octobre, difficile d’imaginer le déferlement de violence qu’a connu l’établissement quelques jours plus tôt. Le 6, deux voitures ont été retournées et incendiées lors d’affrontements avec la police. Le 10, une rixe éclate devant le lycée entre plusieurs personnes armées de barres de fer. Mais le pire était à venir : les événements du 17 octobre, qui briseront l’équilibre précaire qu’avaient réussi à construire les enseignants. Un peu après 8 heures, une cinquantaine de personnes débarquent, masquées. L’une d’entre elles enjambe la grille de l’établissement et adresse un violent coup de pied au visage de la proviseure, occupée à accueillir les élèves. Dix jours d’incapacité totale de travail (ITT). Puis deux cocktails Molotov sont lancés contre le bâtiment. Depuis, l’enquête patine et personne ne semble capable de fournir une explication rationnelle à ces violences.
Agents du rectorat en renfort
Un ado de 17 ans a toutefois été mis en cause pour le coup porté à la proviseure et pour l'un des deux jets de cocktail Molotov. Il n'est pas élève de l'établissement et n'habite pas à Tremblay-en-France. Avec huit autres individus âgés de 15 à 18 ans, il a été placé en garde à vue. Parmi eux, cinq sont scolarisés dans le lycée. «Ils contestent tous leur participation aux faits», indique une source proche de l'enquête, qui estime que «ces violences étaient préméditées». La veille, dans une vidéo postée sur Snapchat, des jeunes ont prédit «le feu» pour le lendemain.
Deux jours après ces événements, et à quelques heures du début des vacances, l'équipe pédagogique a voulu accueillir les élèves pour discuter de la situation. Histoire de ne pas les laisser partir, comme si de rien n'était. Ce jour-là, ce sont des agents du rectorat, appelés en renfort, qui sécurisent le lycée. Myriam, scolarisée en seconde dans la section «soin et service à la personne», vient de sortir d'une heure de discussion avec ses profs. Frigorifée par une météo humide, elle s'emmitoufle dans un grand châle gris et, d'un air définitif, estime que la réputation du lycée est «foutue» : «Dans les mois qui viennent, quand on va chercher un stage, on va être tout de suite associés à ces violences.» Un élève qui souhaite se faire appeler Mahrez n'arrive «pas non plus à expliquer ce qui s'est passé», mais avance l'hypothèse «d'un blocus qui a dégénéré». Il partage l'inquiétude de Myriam sur la mauvaise réputation que risquent de traîner les élèves. «Ça va être compliqué pour nos premiers contacts professionnnels, il faut que vous écriviez que c'est un bon lycée pour améliorer notre image», lance le jeune homme. Myriam n'était pas là au moment des faits, mais voit ce qui s'est passé, sur Snapchat : «Une vidéo des événements a tourné très rapidement, on voyait les flammes d'un cocktail Molotov, raconte Myriam. On ne sait pas pourquoi ils font ça, il n'y a aucune raison.» Sa copine Fatou se demande surtout à quand sera reporté le contrôle de biologie prévu ce matin, avant de s'impatienter :«Il fait trop froid, venez, on va faire un tour de bus !»
Manque de moyens
Plusieurs voitures de police passent fréquemment devant l'établissement. En fin de matinée, l'une d'elles se gare discrètement à quelques mètres. Pendant ce temps, les élèves continuent à sortir par grappes. «J'ai la rage de rater les cours à cause de ça, surtout qu'on a déjà un prof absent, je n'ai pas eu un seul cours d'espagnol depuis le début de l'année», réagit Malick, 16 ans, élève en seconde «logistique et transport». «C'est un établissement bien noté, avec des élèves en réussite, mais on a des difficultés comme dans n'importe quel lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, juge un enseignant. On voudrait être classés en REP + [réseau d'éducation prioritaire renforcé, ndlr], ce qui nous permettrait de bénéficier de dispositifs d'aide.» Le rectorat balaye d'un revers de main la question du manque de moyens : «La sécurité devant l'établissement, c'est à la police de s'en charger.» «Pour beaucoup, ce sont des enfants qui viennent là par défaut, pour qui la filière générale est barrée et qui n'avaient choisi ce lycée qu'en deuxième ou troisième choix», assure François Asensi, le député de Saine-Saint-Denis et maire de la ville. En effet, seule une centaine d'élèves du lycée habitent à Tremblay. La plupart viennent d'autres communes du département, et certains ont plus d'une heure de trajet, matin et soir.