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Libération
Raconte-moi ta thèse

«Chez les Gaulois, si à 50 ans t’as pas ton bracelet en verre, t’as raté ta vie !»

Bracelets et perles en verre gaulois de Saint-Étienne au Temple (Marne), IIIe-IIe siècle av. J.-C. Conservés au Musée de l'Archéologie Nationale. (Photo J. Rolland)
publié le 27 octobre 2016 à 20h11
Libération tend son micro aux doctorants passionnés et passionnants. Le premier article de cette série accueille l’archéologue Joëlle Rolland, de l’université Paris-I.

«Je travaille depuis sept ans avec deux artisans verriers de l’atelier Silicybine à Arcueil (Val-de-Marne). On essaye de refabriquer les bracelets avec les méthodes gauloises (ou celtes, c’est pareil) perdues en Europe. On a même eu l’autorisation d’utiliser un matériau archéologique, un bloc de verre bleu sorti d’une épave au large de la Corse. Les Gaulois l’importaient depuis l’Egypte ou le Proche-Orient pour leurs parures. Mine de rien, agrandir une perle pour en faire un bracelet, c’est difficile pour des artisans modernes habitués à souffler le verre. Aujourd’hui, on ne fait plus de bracelets en verre en Europe. Mais en Inde, au Nigeria et au Népal, oui. Il y a des vidéos sur YouTube, c’est magique pour l’archéologue ! Grâce à l’ethnologie, on imite leurs techniques pour comprendre l’investissement matériel et humain que ça demandait.

«Pour ma thèse, je fais un inventaire pour recenser tous les bracelets en verre trouvés en Europe. J'en compte 8 000 aujourd'hui, grâce auxquels je peux approcher l'artisanat. C'est la définition de l'archéologie, étudier l'humain à travers ses vestiges matériels. Quand j'étudie un bracelet, je me demande ce qu'il va m'apprendre sur les sociétés gauloises. Les premiers bracelets en verre apparus au Ve siècle avant J.-C. sont uniquement dans les tombes princières celtiques. Mais ce luxe se démocratise. La production augmente quantitativement, la forme des bracelets se simplifie. On trouve alors les bracelets même dans les poubelles et au bras d'enfants. La société de consommation, c'est vieux ! Les Gaulois essaient déjà d'imiter la classe sociale supérieure. C'est comme une Rolex : on l'exhibe au bout du bras, et ça ne sert à rien. Il y a toujours eu du prestige à dépenser de l'argent pour l'ornement. Si à 50 ans t'as pas ton bracelet en verre, t'as raté ta vie !»