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Libération
Reportage

Dans la «jungle» de Calais, pelleteuses à l'œuvre et mineurs désœuvrés

Alors que le démantèlement du camp se poursuit, plusieurs centaines de mineurs se retrouvent sans solution, et des adultes tentent de se cacher pour tenter une nouvelle fois le passage en Angleterre.
A l'entrée de la «jungle» de Calais, le 27 octobre. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
publié le 27 octobre 2016 à 15h38

Ce jeudi matin dans la «jungle» de Calais, le climat est tendu. Les derniers habitants ont les traits tirés, la mine déconfite. Le camp peine à se remettre des incendies de la veille. La zone est relativement clairsemée. Les migrants sont réunis devant des camions d’associations qui distribuent des repas et des boissons chaudes.

Plusieurs adultes semblent être sur le départ. Un Afghan explique avoir dormi dehors et n'avoir rien mangé de la soirée. «Après le petit-déjeuner, je vais aller prendre le bus.» Les bénévoles s'enquièrent de la situation des réfugiés. Ils tentent d'inciter tous les majeurs à passer de l'autre côté du pont pour monter dans les bus. Bien que le sas menant aux autocars soit officiellement fermé, les départs sont toujours possibles. Des dizaines d'éxilés patientent dans la zone d'embarquement.

Pour les mineurs, la situation est plus compliquée. Un collectif d'associations (Auberge des migrants, Utopia 56, Cabane juridique, Médecins du monde) explique que plusieurs centaines n'ont pas pu être enregistrés par les autorités ces derniers jours. Certains ont même dû dormir à la rue. Les «bambinos» sont orientés vers le CAP ou «conteneur». Pour s'y rendre, les jeunes sont obligés de passer par la zone sud du camp. Ils arrivent devant le grand ensemble de caissons métalliques sécurisé. Seuls les enfants avec des bracelets peuvent y accéder. Le reste de la foule s'agglutine autour du centre d'accueil, impossible de certifier qu'ils sont tous mineurs.

«On ne sait pas où aller»

Les membres de l'association Refugee Youth Service demandent aux mineurs sans bracelet de rester vigilants : «N'allez pas n'importe où. La police risque de vous embarquer.» Tim, un bénévole, déplore le manque d'information. «On ne sait pas quoi leur dire à tous ces jeunes. Nous voulons juste qu'ils ne se dispersent pas. On craint pour leur sécurité. Mais à force d'être incapable de répondre à leurs questions, j'ai l'impression qu'ils ne nous font plus confiance.»

Noah, 17 ans, vit dans la jungle depuis quatre mois. Accompagné de ses trois amis, il accuse le coup. «On a dormi dans la rue. On a le ventre vide. On ne sait pas où aller. Je ne sais pas si on va tenir longtemps. On veut juste rejoindre nos proches à Londres.» Tim estime que la capacité d'accueil du CAP est plus importante que les 1 500 places évoquées. «1 700 enfants pourraient y dormir. L'Etat a voulu faire les choses trop vite. On ne peut pas faire en trois jours un bon recensement alors qu'il aurait fallu s'y prendre un mois à l'avance pour faire les choses correctement.» Dans son dos, gisent des matelas, des couvertures juste en face du centre. Leurs occupants sont déterminés à attendre aussi longtemps qu'il le faudra.

Dans le reste du bidonville, c'est l'anarchie. Dans un dédale de cabanes en cendres, ustensiles de cuisine, vêtements et autres effets personnels sont laissés à l'abandon. Le périmètre de démantèlement occupe déjà une majeure partie du camp. Interdit d'y circuler. Les policiers invitent les personnes restées dans les tentes à quitter les lieux et à monter dans les bus. «Go ! Go! Go! Now!» Certains obéissent et d'autres se dirigent vers le CAP.

«La préfecture n’a pas tenu sa promesse»

A midi, le camp se vide progressivement. Les pelleteuses engloutissent un nombre conséquent de cabanes. Les lieux de vie de la «jungle» disparaissent sous les yeux des représentants de l’Etat. Aboubacar Camara, un bénévole de l’association Oumma Fourchette, essaie en vain de demander l’autorisation de faire entrer un véhicule aux abords de la mosquée Umar juste à côté du Kitchen in Calais.

«La préfecture n'a pas tenu sa promesse. On nous avait dit qu'on pouvait démonter la mosquée et récupérer tout le matériel lourd qu'il y avait dedans.» Aboubacar demande aux policiers comment il va pouvoir porter seul 4 tonnes de matériel. «Je ne peux pas sortir frigos et réfrigérateurs du camp comme ça. Tout est voué à disparaître», soupire-t-il, impuissant. Voraces, les pelleteuses continuent leur œuvre. La présence des journalistes n'étant pas souhaitée dans le périmètre de démantèlement, nous voyons au loin Aboubacar et Naheem, un bénévole de Kitchen in Calais, gesticuler à côté des forces de l'ordre. Un nouveau feu a pris. Ils tentent de retirer les bonbonnes de propanes présentes dans les espaces de stockage de la cuisine associative.

D’ici la fin de la journée, toutes les constructions anarchiques qui ont fleuri dans le bidonville auront disparu. La préfecture veille à ce que d’autres réfugiés ne viennent pas s’y implanter. Certains adultes se cachent également parmi les mineurs, ou plus loin du camp, avec la farouche intention de rejoindre l’Angleterre. Ils ne comptent pas abandonner si près du but.