La prophétie s'accompagne d'un geste de la main, qui s'ouvre et se ferme trois fois. Bip. Silence. Bip. Silence. Bip. Un dernier silence : «Là on cherche la boîte noire, mais François Hollande va ré-émettre.» Comme ce poids lourd de la majorité, ils sont nombreux (hollandais fidèles ou ce qu'il reste de députés légitimistes) à presser le chef de l'Etat de reprendre la main après la parution du livre de confidences Un président ne devrait pas dire ça, qui a achevé de faire imploser la gauche. Après quinze jours de panique inédite au sommet, il faudrait parler aux Français et aux socialistes pour mettre fin aux grandes manœuvres en cours pour essayer d'imposer l'idée d'une candidature présidentielle alternative, insiste le premier cercle.
Maître des horloges
Certes, les chiffres du chômage sont venus remettre (un peu) de baume au cœur des proches du Président mais dans un mouvement inverse, les sondages se sont mis à plonger dramatiquement au point de réaffubler Hollande, de son surnom de 2011, «Monsieur 3 %». Face à une hostilité historique de son camp, de la base aux membres de son gouvernement, Hollande a opté pour sa stratégie fétiche : laisser retomber la poussière et épuiser ses adversaires. Le pointillisme étant devenu l'art officiel du quinquennat, il a donc commencé à distiller quelques messages bien sentis. Mercredi, dans un hommage à François Mitterrand qui ressemblait à un autoportrait, il a rappelé la formule affectionnée par le premier président socialiste de la Ve République, qui voulait «donner du temps au temps». «Il n'a jamais cédé au moindre découragement, même quand les épreuves semblaient l'avoir écarté», a souligné Hollande. Ce faisant, le chef de l'Etat prévient indirectement tous ceux qui l'ont enterré depuis quinze jours que non seulement il est toujours là mais que, du fait de sa position institutionnelle, il est le seul maître des horloges. «Le pourrissement va bien à Hollande, c'est le meilleur dans ces situations, analyse un ministre. Lui laisse pourrir et au bout ce sont les autres qui lâchent. Il fait ce qu'il sait le mieux faire : l'inertie.» Le premier cercle ne dément pas. «Le temps joue pour nous», sourit un cadre hollandais du PS dans un mélange d'arrogance réelle et de sérénité feinte.
En réalité, après un dîner de la majorité il y a dix jours où la défiance entre François Hollande et Manuel Valls est apparue au grand jour, tout le monde a eu très chaud jeudi dernier. En fin de journée, la rumeur se répand qu'un appel contre la candidature du chef de l'Etat se prépare (lire ci-contre). Pendant que Hollande assiste au Conseil européen à Bruxelles, à Paris ses proches s'activent pour «débrancher» l'initiative, relayée par le Journal du dimanche auprès des députés. Toutes les écuries socialistes se soupçonnent, voire s'accusent, de ce crime de lèse-président, avant de faire savoir une par une à l'Elysée qu'elles ne sont pour rien là-dedans. Vu le niveau de tensions au sein de l'exécutif et de la majorité, «il y a eu un moment où on s'est dit que ce truc pouvait prendre», reconnaît un parlementaire proche du chef de l'Etat, qui refuse de se prononcer sur l'origine de cet appel. «Cette soirée, c'est le tournant de la campagne : le "tout sauf Hollande" n'a pas fonctionné», ajoute-t-il. Vouloir un autre candidat que François Hollande est une chose. Mais éliminer le président sortant sur tapis vert sans attendre la primaire est un pas qu'une grande majorité de socialistes n'est pas prête à franchir.
Autour de Hollande, on s'occupe de rapiécer la stratégie de communication. Depuis une semaine, «Hollande met une pression d'enfer à ses proches, il est superactif, il les envoie au feu», explique un ministre qui a reçu une multitude d'appels pour «prendre la température». Le Président passe d'un déjeuner de presse à un apéro avec des parlementaires, réaffirme sa volonté «inébranlable» au détour de son éloge à Mitterrand, avant son discours à la banlieue jeudi. Ce vendredi, il préside l'anniversaire du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et en profitera pour attaquer le programme social des candidats à la primaire de droite. «On a perdu un peu de temps, euphémise-t-on à l'Elysée. Il faut reprendre le fil d'avant le livre.» Retour à la défense du bilan, du modèle social et d'une certaine idée de la France.
Affront
Le choc se répandant, certains se sont mis à œuvrer presque ouvertement au remplacement du Président. Les hypothèses Ségolène Royal ou Christiane Taubira affleurent, mais c'est vers Manuel Valls que tous les regards se sont tournés. Le Premier ministre pousse le bouchon aussi loin que possible, refusant de dire que Hollande est toujours le «candidat naturel» de la majorité pour 2017, et vouant sa seule loyauté «à la gauche et aux Français». Mais comme aucune coalition ne semble se dessiner, l'Elysée se repose un peu sur ses lauriers. «Personne ne fait l'unanimité, reconnaît un membre du gouvernement. La chance de Hollande, c'est d'être le moins mauvais pour perdre.» Ce qui rend sa candidature possible mais extrêmement fragile. «Si quelqu'un s'envolait tout d'un coup comme Ségolène Royal en 2006, il ne faudrait pas plus de dix minutes pour que tous les dirigeants du PS s'y rallient», estime un député.
Mardi matin, le premier cercle hollandais est pris de court par une offensive conjointe de Claude Bartolone et Manuel Valls. Devant le groupe PS à l'Assemblée, le premier évoque un «problème d'incarnation», quand le second offre à la gauche son «courage et [sa] détermination dans les jours qui viennent». «Un puputsch», grince un parlementaire légitimiste. Quelques heures plus tard, nouvel affront, le Premier ministre et le président de l'Assemblée sèchent le dîner de la majorité.
Il n'y aura donc pas d'explication de gravures en direct. «Hollande était fou de rage mais paradoxalement, ça l'a reboosté», raconte un proche. Après les phrases assassines, les recensions globales du livre fleurissent dans les journaux, plus clémentes pour le Président sur le fond. A ceux qui passent dans son bureau, il lance depuis peu : «Ben tu vois !» Goguenard mais très loin d'être sorti de l'ornière. Novembre risque d'être constellé de déstabilisations et de manipulations, et la primaire sera très difficile face à ses anciens ministres. Avec cette énième crise, «il a planté sa chance d'être élu au premier tour», dit un dirigeant du PS, qui compte encore sur un réflexe légitimiste en faveur du Président. Le cas échéant, la campagne serait plus que difficile. «Le problème, c'est le risque d'une présidentielle qui se fait uniquement sur sa personne : Hollande et ses femmes, Hollande et ses doutes, Hollande et ses incohérences, puisque tout est dans le bouquin.» Ayant compris qu'il serait très certainement candidat, des dirigeants de la majorité veulent dissocier présidentielle et législatives, espérant sauver ce qui peut l'être à l'Assemblée en juin. Tentant un parallèle avec les républicains américains, un ténor du PS ose : «Hollande, c'est notre Trump, il faut l'enjamber.»