Menu
Libération
Éditorial

Le démantèlement de la «jungle» de Calais, un succès humanitaire... bien tardif

Sur le plan de l’urgence humanitaire et de la logistique, la mise à l’abri de milliers de personnes est un succès. Maisla préfète du Pas-de-Calais a beau affirmer que «Calais, c’est fini», la région restera toujours à 40 kilomètres des côtes britanniques…
A l'entrée de la «jungle» de Calais, le 27 octobre. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
publié le 27 octobre 2016 à 17h33

«Mission remplie» : ce furent les mots de Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, pour annoncer dès mercredi midi que l'opération de démantèlement de la «jungle» de Calais était «terminée». A l'heure du premier bilan, forcément incomplet, un préalable est indispensable. Tout est histoire de point de vue.

Sur le plan de l'urgence humanitaire et de la logistique, la mise à l'abri de milliers de personnes est un succès. Entre 5 600 et 6 500 exilés vivaient sur la lande. En quatre jours, celle-ci a quasiment été vidée de ses habitants. Les autorités avaient mis le paquet : des milliers de policiers et gendarmes, des centaines d'agents de l'Etat, autant d'associatifs. Sous l'œil des caméras du monde entier et de plus de 700 journalistes accrédités, les pouvoirs publics sont parvenus à faire partir plus de 110 bus vers des centres d'hébergement, transportant plus de 4 000 migrants. Pas de coups de matraques, pas de lacrymogènes, mais une violence symbolique bien présente, elle, avec ces «Robocop» encadrant les files d'exilés et ces pelleteuses qui ont commencé à détruire le bidonville dès mardi.

Mais c'est une défaite éthique, inévitable lorsqu'on agit dans un temps si resserré, quand un tri au faciès a fini par s'opérer entre supposés mineurs et supposés majeurs. En embarquant pour une destination souvent mystérieuse, les migrants devaient aussi se demander pourquoi ils ont dormi là, dans la boue et le froid, pendant des mois, voire des années, sans que cette situation n'émeuve plus que cela… Et qu'en ont pensé les 200 à 400 mineurs, selon les associations, qui ont dû continuer à dormir sous une tente ou un pont, faute de lits disponibles dans les conteneurs du Centre d'accueil provisoire ?

«Le lieu de nos rêves»

Jeudi, tous les cas difficiles n'étaient pas réglés. De même pour les quelque 90 personnes qui ont déjà été placées en centres de rétention – ces prisons pour sans-papiers – par la préfecture du Pas-de-Calais depuis le début de la semaine. Parmi elles, on comptait 25 Soudanais, 7 Erythréens, 4 Syriens. Des nationalités qui n'ont pas «vocation» à être enfermées, pour reprendre la novlangue du ministère de l'Intérieur. Le plus dur commence.

La préfète du Pas-de-Calais a beau affirmer que «Calais, c'est fini», la région restera toujours à 40 kilomètres des côtes britanniques. Et au niveau national comme européen, la paralysie demeure. Les autorités britanniques rechignent toujours autant à accepter sur leur sol des adolescents qui ont pourtant de la famille outre-Manche. A Paris, ils sont plus de 2 000 migrants à vivre dans la rue, sans solution de relogement pour l'instant. Les ministères de l'Intérieur et du Logement sont passés à la vitesse supérieure en ouvrant près de 8 000 places d'hébergement partout en France. L'accueil des migrants de Calais s'y est très souvent bien déroulé. Encourageant, réconfortant, alors que le Front national n'a cessé d'attiser les haines et les peurs depuis deux mois.

Ce mouvement doit être accentué, en garantissant à chacun un accompagnement de qualité. Mais il restera toujours des gens comme Nadel, cet Erythréen croisé mercredi dans le bidonville, et toujours accroché à son rêve d'Angleterre, où vit son oncle. «J'ai habité trois mois et demi dans la jungle, et malgré sa dureté, c'est devenu le lieu de nos rêves. Les violences policières qu'on subit, ce n'est rien par rapport à ce qu'on a vécu dans nos pays, en Libye, ou en traversant la Méditerranée.»