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Libération
A la barre

Leur mini-musée Picasso sous carton ramène au tribunal le couple Le Guennec

L’ancien électricien et sa femme, condamnés en première instance pour le recel de 271 œuvres du peintre, sont à nouveau jugés à partir de ce lundi, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Les époux Le Guennec, avant leur procès en première instance, à Grasse, en février 2015. (Photo Eric Gaillard. Reuters)
ParMathilde Frénois
Correspondance à Nice
Publié le 30/10/2016 à 18h41

Elles ont vécu cachées pendant trente-sept ans. Signées de la main de Pablo Picasso, 271 œuvres sont restées à l’abri des regards entre les années 70 et 2010, rangées au sous-sol de la maison de Pierre et Danielle Le Guennec à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. Données, volées ou recelées ? A partir de ce lundi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) tentera de sortir de trois décennies d’ombre autour de ces œuvres et des intentions du couple de septuagénaires, condamnés à deux ans de prison avec sursis pour recel lors de leur premier procès à Grasse (Alpes-Maritimes) en février 2015. Aujourd’hui, les 271 œuvres n’ont toujours pas rejoint les murs de la famille Picasso, des musées ou des galeries d’art. Elles sont placées sous main de justice : ces 180 dessins, lithographies, collages, peintures et ce carnet de 91 esquisses poursuivent une existence coincée dans un carton.

«J'attends que ce nouveau procès mette un terme à une mystification, insiste Me Jean-Jacques Neuer, l'avocat de Claude Ruiz Picasso, fils du peintre, et de la Picasso Administration, qui gère le patrimoine de la famille. La logique des époux Le Guennec était une logique de mensonge. Le but n'est pas qu'ils soient condamnés plus lourdement, mais d'enfin connaître la vérité.»

Oxygène. Leur vérité, Pierre et Danielle Le Guennec l'ont expliquée lors de leur premier procès. Si ce carton bourré d'œuvres a atterri dans leur garage, c'est que Pablo Picasso le leur aurait donné, au début des années 70. «Un soir, Jacqueline [Picasso, l'épouse du peintre, ndlr] me tend un carton et me dit : "C'est pour vous, emmenez ça chez vous"», affirmait Pierre Le Guennec à la barre en février 2015. L'homme, aujourd'hui âgé de 76 ans, a été l'électricien de l'artiste. Pendant quinze ans, à partir de 1971, il a passé de longues heures à s'occuper du mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins, la demeure du peintre. Un statut qui aurait permis d'établir une relation de confiance, faite d'échange de services, entre l'électricien et le «maître». D'un côté, Pierre Le Guennec gardait la résidence, fournissait Pablo Picasso en bouteilles d'oxygène, indispensables à sa santé. De l'autre, Jacqueline Picasso prêtera plus de 500 000 francs au couple pour l'acquisition d'une licence de taxi… Jusqu'au «cadeau» des 271 œuvres.

Des justifications bien loin de convenir aux héritiers du peintre. Ceux-ci, venus en nombre et très soudés lors de l’audience de février 2015, restent sceptiques sur l’ampleur et la nature du «don». Selon ses descendants, le maître avait l’habitude de personnaliser ses présents, les datant et signant. Ce n’est pas le cas pour celui des Le Guennec. Le bon état de conservation des œuvres, qui seraient restées tout le temps dans le sous-sol d’une maison avec pour seule protection un carton, fait douter la famille Picasso. Mais l’élément qui fait le plus sourciller les proches du peintre est le cousinage entre Pierre Le Guennec et Maurice Bresnu, alias Nounours, soupçonné d’avoir dérobé des œuvres alors qu’il était chauffeur du peintre. Pour la famille Picasso, c’est de ce possible vol que pourraient provenir les 271 œuvres, qui ont ressurgi le 14 janvier 2010.

«Foudre». D'abord dans quatre courriers adressés à la Picasso Administration. L'électricien y fait un inventaire très précis du trésor, réclamant son authentification. A la suite de l'envoi de ces documents manuscrits, Pierre Le Guennec demande un entretien avec Claude Ruiz Picasso. Au rendez-vous, il tire une valise à roulettes. A l'intérieur, les dessins, peintures et collages dont certains sont uniques : un portrait d'Olga (la première femme de Picasso), des collages cubistes et des carnets d'étude. Le fils du peintre porte plainte le 23 septembre 2010 pour vol et recel de vol.

«La foudre leur est tombée dessus, estime le nouveau conseil des Le Guennec, Me Eric Dupond-Moretti. L'objectif est qu'ils soient relaxés : quand on est malhonnêtes, on ne va pas voir la famille Picasso pour l'expertise. Quand on est assis sur des millions, on ne travaille pas jusqu'à la fin de sa vie.» Ces arguments, les époux Le Guennec et leur conseil devront les développer devant le clan Picasso. «Je serai certainement plus serein qu'au premier procès», anticipe Pierre Le Guennec. L'électricien et son épouse feront une nouvelle fois face à une famille unie autour d'un dessein commun, celui de la maîtrise de son patrimoine.