Laurent Bigorgne est directeur de l'institut Montaigne, think tank libéral. Ce proche d'Emmanuel Macron juge que les programmes économiques des candidats de la droite manquent d'une «vision».
Suppression des 35 heures, diminution massive du nombre de fonctionnaires, baisse des cotisations sociales… Les propositions économiques des candidats à la primaire de la droite ont un air de déjà-vu…
Si l’on prend les mesures de manière isolée peut-être, mais ce qui me frappe surtout, c’est la rupture que ces programmes promettent par l’ampleur des économies préconisées. De 2007 à 2012, l’Etat a réduit ses dépenses de 50 milliards et supprimé 150 000 emplois dans la fonction publique d’Etat. Sur 2012-2016, c’est de nouveau 40 milliards à 50 milliards d’économies et une stabilisation du nombre de fonctionnaires au niveau de l’Etat. Or les candidats de la droite prônent un doublement des économies à faire sur le quinquennat et une baisse de 200 000 à 500 000 emplois dans la fonction publique… Il y a là un véritable changement d’échelle.
Est-ce pour autant une garantie de (bons) résultats économiques ?
Cela dépend de leur acceptation par le corps social. Etant démocrate, j’aurais tendance à penser que les citoyens qui vont aller voter à la primaire de la droite, et plus encore ceux qui soutiendront le futur candidat de la droite à la présidentielle, lui donneront une légitimité pour agir. Ensuite, ce sera aussi une question de tempo car un quinquennat passe très vite. On verra dès la première loi de finances quelle est la volonté véritable de la majorité à mettre en œuvre ce qui s’annonce comme le plus gros choc économique depuis 1958.
L’heure est-elle au libéralisme débridé ?
Pas vraiment. Les programmes sont très centrés sur les fonctions régaliennes de l’Etat. La droite française n’est pas libérale au sens où l’est la CDU allemande, très décentralisatrice, ou les conservateurs britanniques, qui sont favorables à ce que la société civile se prenne en main. Même chez François Fillon, dont le programme est ambitieux et le plus éloigné de l’ADN étatiste de la droite française, l’Etat continue de jouer un rôle important.
Pensez-vous vraiment que les Français vont adhérer à des programmes qui leur promettent de gros sacrifices immédiats sans assurance d’une amélioration pérenne ?
Difficile à dire. D’autant que le rejet d’une partie des mesures économiques s’accompagne souvent d’un désamour puissant vis-à-vis des politiques de droite comme de gauche, qui n’ont pas fait leurs preuves en matière de lutte contre le chômage depuis trente ans. C’est là que la méthode sera sans doute décisive. Les Français n’accepteront de sacrifices que s’ils se font sous le sceau de la justice et de la plus grande transparence. Un exemple : l’idée que tous les foyers devraient payer l’impôt sur le revenu n’est pas une vieille idée, c’est une idée de justice qui pourrait faire consensus. En revanche, si le mode d’action est volontairement clivant, c’est l’échec assuré.
Les candidats parlent plus équation budgétaire que justice…
Oui, ce qui manque le plus à ce stade, c’est une vision du destin du pays et de l’avenir assumé de la France dans l’Europe. Cette pédagogie, les politiques y ont renoncé. Et c’est sans doute un travers de la primaire que de fragmenter, au lieu de réunir autour d’un diagnostic et d’une volonté partagée. Ce travail de syncrétisme qui échoit normalement aux partis, l’UMP ne l’a pas fait.