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Libération
Un an

13 Novembre : à l'écran, la vie malgré tout

13 Novembre, un an aprèsdossier
Retour en documentaires sur la dimension humaine du soir meurtrier. Salutaire, mais parfois excessif et douloureux.
Extrait du documentaire «Attentats, les urgences en première ligne». (Photo Tony Comiti)
publié le 6 novembre 2016 à 17h16

Pas moins d’une quinzaine de documentaires ont été tournés depuis les attaques du 13 Novembre à Paris et Saint-Denis. Avec une diffusion surtout concentrée pendant la semaine anniversaire de ces événements. Avec aussi une tendance qui n’a rien d’anodin : beaucoup de ces films donnent la parole à ceux qui en ont été victimes ou acteurs, directement ou indirectement, pour savoir comment ils ont survécu à l’horreur et comment ils se reconstruisent.

Vivre avec sur France 2, la Vie après sur Arte, Vous n'aurez pas ma haine sur France 5 (tiré du livre d'Antoine Leiris et programme sur lequel nous reviendrons dans une édition prochaine), tous ces films penchent clairement du côté de l'humain. Ils ont été blessés, ils ont perdu un être cher, ils sont secouristes, pompiers, policiers, voisins, témoins… Et ils ont en commun d'avoir une blessure toujours ouverte un an après. Une blessure que beaucoup partagent à des degrés divers et que ces images ravivent, parfois violemment.

En janvier dernier, lorsque la télévision était revenue sur les attaques de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, la question du parcours des frères Kouachi et de Coulibaly était au cœur des interrogations. Et certains films produits alors s'étaient attachés à retracer leurs parcours, pour essayer de comprendre comment ils avaient pu se radicaliser au point de devenir des assassins, ce qui avait pu les pousser à passer à l'acte. Là, on n'apprendra rien des membres des commandos. Ou le minimum factuel dans Cellule de crise de France 2, qui retrace dans le détail tout le déroulé de cette soirée. Désincarner les terroristes, c'est leur retirer cette humanité qu'ils ont voulu faucher de leurs balles et explosifs. Réflexe compréhensible puisqu'il s'agit de s'assurer - avant d'aller plus loin avec des questions qui dérangent - que la vie peut continuer malgré tout. C'est ce qu'explique très bien Eric Guéret, réalisateur du très touchant Vivre avec : «Dès le départ, je me suis dit que le plus important était de mettre en échec le projet terroriste qui veut nous amener vers la violence, la division et la haine. Mon film raconte de manière très subjective cette résistance à travers la capacité de résilience des rescapés qui ont accepté de témoigner, leur envie de reprendre le cours de leur vie même si les blessures ne sont pas effacées.»

Comment vivre avec ? Vivre après ? A l’arrivée, on ne trouvera guère de réponses précises ou de mode d’emploi dans ces films aux témoignages très forts. Chacun fait de son mieux, un peu de son côté. Mais il en découle une injection collective à y parvenir coûte que coûte.

«13 Novembre, vivre avec» : une soirée, et la question de l’après

Ils s'appellent Claude-Emmanuel, Morgann, Mohamed, Louise et Eva (photo). Ils ont en commun d'avoir survécu aux attaques du 13 Novembre. Blessés physiquement et/ou psychologiquement, ils ont accepté de revenir face caméra pour parler d'eux aujourd'hui. Chacun commence par raconter sa soirée. Des témoignages poignants. Morgann, nous l'avons tous déjà vue sur les images de surveillance qui ont capté l'attaque du restaurant Casa Nostra : on y aperçoit un des assaillants se diriger vers une table, pointer une arme vers le bas mais celle-ci s'enraye et il doit fuir ; immédiatement deux jeunes femmes se lèvent et se mettent à courir. Morgann était l'une d'entre elles : «J'étais recroquevillée sous la table, je me disais que si je ne le voyais pas, il ne me verrait pas. Je voyais ses pieds, j'étais presque résignée à mourir.» Le récit de Louise est tout aussi glaçant. Elle était prise au piège dans la fosse du Bataclan : «Ils se baladaient au milieu de nous, et nous achevaient un à un. J'étais cachée sous un mort. Tu te dis que tu ne reverras pas la lumière du jour. Quand un des kamikazes s'est fait exploser, ça a fait comme de la neige. C'était des morceaux de chair.» Eva aussi était au Bataclan. Blessée dans le dos, elle a vu son compagnon mourir à côté d'elle. «Tout mon corps tremblait, il fallait que je sorte de là. Valentin ne bougeait plus, il avait les yeux ouverts. C'était terrible de le laisser là mais je n'avais pas le choix. Je l'ai regardé une dernière fois et je suis sortie. Je me suis retrouvée dehors. J'étais seule. J'étais toute seule.»

La question de l'après se posait déjà. Elle se pose toujours pour chacun d'entre eux. Touché de plusieurs balles, Claude-Emmanuel a dû réapprendre à marcher, mais pas seulement : il lui a fallu mettre des mots sur ce qu'il traversait pour aller mieux. Mohamed, agent de sécurité au stade de France et touché par des éclats, ne supporte plus la foule et ne peut plus exercer. Quand certains doivent s'éloigner, comme Louise, partie se réfugier à la campagne, Morgann, étudiante en sciences sociales, cherche des réponses. Eva apprend à vivre avec, ou plutôt à vivre sans : «Les choses paraissent parfois un peu vaines. On ne peut pas rejeter ce qui s'est passé, mais il faut que ça aille, j'ai décidé que je serai heureuse.»

«Attentats, les urgences en première ligne» : entre abnégation et impuissance

Ce film, qui lui aussi retrace la soirée minute par minute, s'intéresse aux témoignages des secouristes, pompiers, médecins qui ont dû gérer une situation inédite. Il fait la part belle au courage, à la solidarité et à l'abnégation dont ils ont fait preuve cette nuit et les jours suivants. «Dans ce moment terrible, il y a eu du beau», explique un chirurgien. «On est formés d'un point de vue professionnel, mais humainement c'était dur», témoigne une chef de clinique. Tous expriment leurs doutes face à certaines situations, leurs dilemmes face à plusieurs urgences vitales à gérer en même temps et leur impuissance à sauver certaines vies. Mais le film n'évite pas deux écueils majeurs. D'abord, les défaillances pointées par Cellule de crise ne sont qu'effleurées. Mais surtout, il abuse de scènes sensationnalistes, notamment les appels de témoins ou de victimes aux services d'urgence. Des scènes particulièrement pénibles à revivre.

«Bataclan, une vie de spectacles» : souvenirs d’un temple de l’avant-garde

Ce film porté par Philippe Manœuvre choisit de raconter l'histoire artistique du Bataclan, qui doit rouvrir le 12 novembre. Un choix pas si éloigné de la thématique générale puisque ce lieu est à la fois le symbole de la France multiculturelle visée par les terroristes, mais aussi une salle habituée des renaissances. D'abord café-concert puis cinéma avant de redevenir salle de concert, le Bataclan s'est imposé dans les années 70 et 80 comme un lieu de l'avant-garde, de l'alternatif, voire de la bizarrerie. Superbes archives où l'on verra les premiers concerts des Clash, de Genesis, de Police, la (première) reformation du Velvet, l'émeute pour les New York Dolls… Les artistes invités à raconter leurs souvenirs évoquent tous une ambiance particulière sur cette scène, avec une sensation de foule dépassant largement les dimensions de la salle. «Faut être festif quand on joue là», assure Bernard Lavilliers. C'est JoeyStarr qui en parle le mieux : «C'est une salle où on ne respire pas, au bout de dix minutes tu n'as plus d'air et tu joues en apnée.»

«13 Novembre, quand la France vacille» : le décorticage jusqu’à l’excès

C'est évident qu'ils en font trop à l'écran et que l'ensemble aurait mérité d'être condensé. Trop de ralentis, trop de reconstitutions, trop d'effets tapageurs. Mais la minutie de ce Cellule de crise, qui revient sur les événements du 13 jusqu'à l'assaut - confus - de Saint-Denis, permet de comprendre les défaillances du système face à une attaque d'une telle ampleur. Certaines ont été corrigées, d'autres non.

Service minimum au Stade de France. Le match France-Allemagne n’avait pas été considéré à risque, le danger terroriste ayant même été écarté. Résultat, quand les kamikazes ont frappé les abords du stade, il a fallu faire venir de nombreux renforts, qui feront défaut dans Paris un peu plus tard.

Opérateurs radio dépassés. «Les vingt premières minutes vont déstabiliser les forces de l'ordre», explique le film. Avec la succession d'attaques de terrasses puis le Bataclan, les six policiers en salle radio sont vite débordés, gérant des milliers d'appel. De même, ils ont eu du mal à repérer les lieux précis et à bien coordonner l'envoi des équipes sur place. Les échanges radio récupérés illustrent cette confusion.

Secours désorganisés. La multiplication des lieux d’intervention a compliqué le travail des secours. Le matin même s’était déroulée une simulation d’attentats multiples dans les grands magasins de Paris, mais la réalité a montré les failles. Au bar la Bonne Bière, il faudra attendre longtemps les secours, bloqués par le dispositif de sécurité mis en place autour du Bataclan. Coincés dans des zones non sécurisées, pompiers et secouristes ont dû travailler parfois sans matériel, avec les moyens du bord. Les procédures ont depuis été revues.

L’après. La prise en charge des familles des victimes a donné lieu à la plus grande confusion. Il a fallu trois jours pour les connecter correctement à la cellule interministérielle dédiée. A la place, les 93 000 appels sont arrivés au standard du ministère de l’Intérieur, pas équipé pour ça.

Ratés de l'enquête. Le film confirme des éléments troublants. Un membre des services de renseignements vit les attaques «comme un échec» : les enquêteurs avaient des éléments qui auraient pu empêcher Salah Abdeslam de quitter la France, et certains des assaillants, connus avant, ont pu passer sous les radars par manque de coordination entre services et pays.