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Libération
La primaire vue par des artistes (3/7)

Bruno Le Maire par Florent Marchet : le bon élève qui rêve de sortir de sa classe

Le chanteur Florent Marchet, coauteur du disque «Second Tour», dresse un portrait sans filet du candidat à la primaire de droite, mettant en lumière la complexité cachée de celui qui n’arrive pas à se défaire de sa réputation de catho guindé.
Bruno Le Maire le 24 septembre 2015, à Reims, durant les journées parlementaires du parti Les Républicains. (Photo Albert Facelly)
par Florent Marchet
publié le 14 novembre 2016 à 19h36

Libération passe en revue tous les candidats de la primaire de la droite. Carte blanche a été donnée à plusieurs personnalités du monde de la culture (humoriste, chanteur, écrivain…) pour leur tailler le portrait. La consigne ? Pas de consigne. Juste assumer une plume subjective, et donc possiblement décalée, qui revendique un droit à la légèreté et à l’insolence. Sans s’interdire de faire de la politique.

Ne comptez pas sur moi pour dresser un portrait à charge de Bruno Le Maire. Pour commencer, je vais plutôt l'appeler par son prénom, ça fera plus stylé «primaire de droite» et ça me rapprochera un peu de lui, ce qui n'est pas une mince affaire. Bruno est bien trop paradoxal pour être enfermé dans une image d'homme de droite ultralibéral, catho coincé qui ne rate jamais un déjeuner dominical en famille. Cet homme est-il plutôt chevreuil que poulet ? Pomerol que vin nature ? Le Figaro que Libé ? Prenons, par exemple, mon cercle d'amis composé d'un ramassis de gauchistes dépravés. Vous savez, ceux qui ont de la sympathie pour les Nuits «chienlit» debout (bref, des artistes) : pour beaucoup d'entre eux, Bruno incarne la trop rare pensée progressiste de la droite.

Raideur

Etonnant, non ? Le fait d'armes de mon Bruno ? Il s'est «abstenu» lors du vote du mariage pour tous. Et il a maintenu fermement sa position : «Oui, je crois que l'amour homosexuel vaut l'amour hétérosexuel.» Lui, fervent catholique, père de quatre enfants, qui incarne une droite corsetée par un déterminisme social et gaullien, a pris ce risque de se faire huer par sa famille politique, lors d'un meeting versaillais notamment. Courageux, le Bruno. Rappelons qu'il y a eu beaucoup de houle entre sa mère et lui à ce sujet. Je m'abstiendrai de revenir sur la théorie du genre et son nom très lacanien, «Le Mère». Bruno a cherché à se défaire de son déterminisme.

Regardons en arrière. Il est né il y a quarante-sept ans. Oui, il fait beaucoup plus vieux que son âge, affichant une raideur, un port altier, qui ne donne pas franchement envie de boire un petit jaune avec lui. Avec sa tête bien ronde, bien rose, sa peau glabre et ses yeux malicieux de bébé Cadum, il est assez facile d'imaginer le poupon qu'il était en 1969 (année érotique, j'y reviendrai), dans l'appartement familial, rue Victor-Hugo (tiens, tiens, un grand progressiste) dans le XVIarrondissement de Paris. Fils de Viviane Fradin de Belâbre, aristocrate du Sud-Ouest, et de Maurice Le Maire, père autoritaire taiseux et violent (storytelling politique ou réel ressentiment ?) et secrétaire général du groupe Total (on ne vient pas là par hasard), Bruno admire l'excentrique de la famille : sa grand-mère Isabelle, passionnée d'aviation, qui lui fera découvrir la littérature.

Après douze années passées chez les jésuites (chantant même devant Jean Paul II), après des vacances à Courchevel (ça, je l’invente), ce féru de Rimbaud ou encore de Nabokov (pas très catho tout ça) intègre l’Ecole normale supérieure (un repaire d’intellectuels de gauche) dont il sortira premier de sa promotion grâce à son mémoire sur Proust. Déjà à l’époque, il est perçu comme quelqu’un de très contraint, bridé par son origine sociale. Pour des raisons exactement opposées à celles de Bourdieu, il a certainement dû éprouver ce même sentiment de ne pas avoir les bons codes, de ne pas être à sa place et… c’est touchant.

Alors Bruno, pourtant foncièrement littéraire (au grand dam de son père qui l’aurait plutôt vu dans les affaires), rentrera dans le rang pour intégrer l’ENA (un bon compromis), où il sera un élève moyen. La suite, on la connaît : coup de foudre avec Villepin (sa mère fera l’entremetteuse), puis directeur de cabinet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, ministre de l’Agriculture sous Sarkozy après avoir trahi son maître Villepin, conseiller régional de Haute-Normandie, député de l’Eure…

«Chaleur»

Bruno grimpe, coupant des têtes, soutenu par sa fidèle épouse, Pauline, aristocrate comme maman, artiste peintre et assistante parlementaire. Il deviendra ce parfait énarque qui prône le renouveau politique, qui veut en finir avec les élites. Aussi crédible qu'un manager de McDo qui se clamerait écolo. Malgré un relooking express façon stand-up à l'américaine, chemise ouverte et manches retroussées (Hortefeux aura cette phrase cruelle : «Qu'est-ce que tu fais comme ça, tu viens de faire la vaisselle ?»), Bruno s'englue, s'enlise. Son déterminisme lui reste collé, telles des semelles de plomb. En scandant la réduction des minima sociaux, la fin des 35 heures et la suppression de l'ISF, Bruno incarne parfaitement l'ADN libéral de sa famille de droite : les chômeurs profitent des allocs, les Français sont des feignants, les riches méritent respect et protection. «La loi du plus fort» comme héritage transgénérationnel. Bruno ne s'envole pas (il plafonne à 10%), Bruno ne se libère pas, même s'il écrit des livres. Et si, sous ses allures d'aristo se rêvant d'un lignage avec La Rochefoucauld, sommeillait un sale gamin préférant Sollers (son éditeur) ou Henry Miller ? «Je me laissais envahir par la chaleur du bain, la lumière de la lagune qui venait flotter sur les glaces de la porte, le savon de thé vert, et la main de Pauline qui me caressait doucement le sexe.» C'est sa mère qui a dû être contente en lisant ces lignes extraites du livre le Ministre. Quand je vous disais 69, année érotique… Allez Bruno, assume, plaque tout et écris-nous un bon roman sur la trahison de classe !

(Re)lire l'épisode 2 : Nicolas Sarkozy par Magyd Cherfi

Épisode 4, mercredi : François Fillon par Kee-Yoon