Depuis début octobre, et jusqu'en février, l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) s'invite dans les cantines. Objectifs affichés : «Sensibiliser les enfants et leurs parents à une consommation de qualité» et «valoriser les écoles servant de la viande française de bœuf et de veau». Le syndicat veut frapper fort : il annonce que cette «animation sera mise en place dans 1 500 écoles primaires partout en France, soit auprès de 225 000 élèves». Elle aurait déjà eu lieu dans une quarantaine de villes. La chose est présentée comme une animation pédagogique. Mais cette «opération clés en main» vise avant tout à promouvoir la viande : le kit d'animation fourni aux écoles par Interbev comprend ainsi un dossier sur l'élevage destiné au responsable de la restauration, un «livret d'information» pour les parents d'élèves de la commission menus, des tatoos pour les enfants («Avec le bœuf c'est la teuf», «Parce que je le veau bien»), sans oublier «le Journal des Jolipré», petite famille d'«éleveurs du troisième millénaire qui ouvrent les portes de leur ferme pour expliquer leur quotidien et montrer aux enfants comment préserver un équilibre entre la planète, les hommes et les bêtes qui les entourent».
Pétitions. Interbev, qui affiche un budget annuel de 32 millions d'euros et regroupe 21 organisations professionnelles (Culture viande, Tripiers de France, la Fédération nationale du cheval ou celle des exploitants d'abattoirs…), est une habituée des bancs des écoles. «Depuis le début de l'année scolaire 2015-2016, Interbev Ile-de-France a pu proposer les animations pédagogiques élevage et viande à près de 600 écoliers (30 classes) du CP au CM2», se félicite l'organisation sur son site. Idem dans le Gers et en Haute-Garonne, où le syndicat aurait touché 17 classes et plus de 300 enfants. Ces actions de promotion de la viande s'inscrivent, souligne Interbev, «dans la dynamique du plan de soutien à l'élevage français impulsé par Manuel Valls en juillet 2015».
On peut tout de même s'étonner qu'un lobby puisse ainsi s'installer dans les classes ou les cantines. Au ministère de l'Education nationale, on se montre embarrassé. «Il n'y a pas d'agrément national délivré par nos services qui autoriserait Interbev à intervenir dans les établissements scolaires», précise prudemment le service communication, avant d'ajouter «qu'il y a sans doute eu des permissions d'intervention accordées par des chefs d'établissement, ce qui n'est pas interdit».
Reste que cette «offre pédagogique» n'est pas du goût de tous. Deux pétitions en ligne dénonçant la dernière campagne d'Interbev dans les cantines réunissent environ 100 000 signatures. A Paris, des élus du groupe écologiste ont, quant à eux, déposé le 6 novembre un «vœu relatif à la lutte contre le lobbying de l'industrie de la viande dans les écoles». Pour les écolos, l'argument «développement durable» d'une consommation de viande française est indigeste vu l'ampleur des dégâts environnementaux provoqués par l'élevage industriel.
«Apologie». Mais l'action la plus marquante remonte au 28 octobre. Ce jour-là, une soixantaine de militants de l'association 269Life libération animale étaient venus dénoncer la mise en scène bucolique de la ferme des Jolipré, rue de Bercy, devant le siège parisien d'Interbev. Tiphaine Lagarde, la présidente de l'association, avait fustigé l'«apologie de la viande», la promotion des «élevages sordides», cette «vision mensongère» offerte aux enfants qui présente «des élevages heureux et des animaux qui seraient contents de donner leur vie». Et, tutoyant Interbev : «Nous ne laisserons pas les puissants lobbys que tu représentes les endoctriner pour en faire des consommateurs aveugles». Le syndicat a refusé de rencontrer une délégation de l'association.