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Affaire Kerviel : Bercy s'engage à réclamer son dû à la Société Générale

Michel Sapin ouvre le processus visant à réclamer le remboursement de 2,2 milliards d'euros du crédit d'impôt lié aux pertes du trader. Mais le recouvrement sera long et incertain.
L'administration fiscale a lancé la procédure pour que la Société Générale rembourse en partie ou en totalité le coup de pouce fiscal de 2,2 milliards d'euros dont elle avait bénéficié suite à l'affaire Kerviel (Photo ERIC PIERMONT. AFP)
publié le 15 novembre 2016 à 17h49

Bercy passe enfin à l'acte. Le ministère des Finances vient de faire savoir (via Les Echos) qu'il engageait le processus visant à récupérer tout ou partie de la ristourne fiscale de 2,2 milliards d'euros gracieusement accordée à la banque en 2008, au tout début l'affaire Kerviel. Pour mémoire, l'ex-trader fut initialement accusé de lui avoir fait perdre, à son insu, 6,5 milliards. Une paume indépendante de la volonté de la Société générale, pensait-on à l'époque, donc déductible de ses bénéfices présents et futurs (dans la limite du tiers, soit 2,2 milliards).

Changement de décor en septembre dernier, quand la Cour d'appel de Versailles, chargée de refaire le match, n'infligeait à Jérôme Kerviel qu'un petit million de dommages et intérêts. Soit 0,02% du préjudice total, la banque étant jugée co-responsable pour le reste, en raison de ses contrôles internes «erratiques» ou «lacunaires», trahissant une volonté de «privilégier la prise de risque et la rentabilité.» Conséquence logique : la Société générale ne peut plus se prévaloir d'une perte liée à un trader fou et devrait donc rembourser le fisc.

Kerviel : «J'ai envie de dire bravo»

C'est peu dire que Michel Sapin aura pris son temps, étant sollicité de longue date sur le sujet, mais mieux vaut tard que jamais. «J'ai envie de dire bravo», a indiqué Jérôme Kerviel, lundi sur Europe 1. «Les tergiversations de M. Sapin n'incitent pas à la confiance», nuance toutefois Julien Bayou, porte-parole de EELV faisant cause commune avec le trader au nom de la lutte contre les dérives de la finance. A la décharge du ministre, la décision de recouvrer ou pas ces fonds relève de la Commission des infractions fiscales (CIF), organe administratif censé être indépendant de sa tutelle ministérielle. D'autant que le combat sera long: «La Générale va se battre pied à pied, cela durera des mois, des années, confie son entourage. Ce n'est pas évident, pas gagné d'avance.» Car la banque a d'ores et déjà prévenu unilatéralement que l'arrêt de la Cour d'appel «est sans effet sur sa situation fiscale.» Elle n'entend donc rien lâcher, le litige ayant vocation à être tranché par les tribunaux administratifs.

Ultime curiosité, s'agissant d'une affaire de fonds publics : Michel Sapin se réfugie par avance derrière le «secret fiscal» pour éviter d'en dire plus. Vaine précaution, puisque la Générale sera bien obligée de dévoiler le résultat final du deal à ses actionnaires - transparence boursière oblige. Julien Bayou y veillera: pour avoir initié des poursuites pour «concussion» à l'encontre de Christine Lagarde et Eric Woerth, ministres ayant accordé le bonus fiscal en 2008 sans s'encombrer de formalités, il n'hésitera pas à l'élargir à Michel Sapin en cas de besoin.

Une chose est sûre, la Société Générale a les moyens de rembourser au Trésor public ces quelque 2,2 milliards de trop-perçus : en 2015, l’ancien employeur de Jérôme Kerviel a engrangé plus de 4 milliards d’euros de profits, six fois plus qu’en 2009 quand la banque épongeait les bêtises de ses traders et l’onde de choc de la crise du secteur financier. Et l’exercice 2016, devrait être largement aussi faste.