La Pariser Platz a rarement été aussi déserte depuis la chute du Mur. Ce jeudi matin, à Berlin, tout le bas de l’avenue Unter den Linden qui mène au pied de la porte de Brandebourg est vide. Quartier bouclé par la police. La raison : la venue de Barack Obama dans la capitale allemande, à l’occasion de sa dernière tournée en Europe. Le président américain est descendu dans la suite présidentielle d’un des établissements les plus chics de la capitale, l’hôtel Adlon, situé sur cette même Pariser Platz. De quoi faire passer (presque) inaperçue la deuxième visite à Berlin de Manuel Valls ce jeudi. Dans les journaux ici, on parle de la candidature d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen. Pas de la visite du Premier ministre français qui a bouclé sa journée avec le vice-chancelier social-démocrate, Sigmar Gabriel, pressenti pour mener le SPD lors des législatives l'an prochain.
Ce jeudi matin, Valls est aussi à l'hôtel Adlon. Pas pour y dormir ou rencontrer Obama mais pour ouvrir le forum économique de la Süddeutsche Zeitung, un des plus grands quotidiens du pays, tendance sociale-démocrate. Et si Valls n'a pas croisé Obama, il en a profité pour ajouter un petit caillou sur sa route présidentielle. Après Cergy, dans le Val-d'Oise, la veille sur la question éducative, le voilà qui, devant un parterre de décideurs, déroule un programme européen. Le sien.
Hollande cité une seule fois
A coup de «je» ou de «ma proposition», le Premier ministre met en garde ses interlocuteurs : «Le projet européen, sous les coups de boutoir populistes, peut se défaire.» Après la gauche, c'est «l'Europe [qui] peut mourir», pour le chef du gouvernement et elle «peut sortir de l'histoire». Durant près d'une demi-heure de discours, Valls ne cite qu'une seule fois François Hollande : pour souligner son engagement européen avec la chancelière Angela Merkel. Service minimum. De la distance avec le Président? Devant la presse plus tard dans l'après-midi, le chef du gouvernement s'en défend : «Dans ces moments-là, il faut être extrêmement attentif aux institutions, à l'état de la France et à l'état de la gauche, fait-il valoir plus tard dans l'après-midi auprès de quelques journalistes français après avoir visité les œuvres de la collection particulière d'art contemporain de Christian Boros dans un ancien bunker. Lui et moi, nous sommes pleinement d'accord sur ces responsabilités». Circulez, je ne joue pas contre le Président...
Il n'empêche : ce jeudi matin, dans son discours, le Premier ministre se positionne comme si, après 2017, c'est lui qui sera l'interlocuteur des Allemands à Paris. «Ma détermination, mon engagement est de poursuivre» les réformes, dit-il après avoir rappelé le pacte de responsabilité ou la loi travail et avant d'évoquer son projet de «revenu de base» (en fait une fusion des allocations existantes). La fin de quinquennat se profilant, Valls peut désormais parler de «débat serein et franc» avec les Allemands dans un discours public : «La France, désormais, attend l'Allemagne», lance-t-il, réclamant qu'ils mènent une «politique de croissance». «Il faut que les pays qui ont des marges pour investir le fassent, critique-t-il. Ces marges, vous les avez.» Un «discours de vérité» à l'adresse de l'Allemagne qu'ils ont été nombreux au Parti socialiste (Arnaud Montebourg, Claude Bartolone, Benoît Hamon, etc.) à avoir réclamé depuis 2012…
Valls profite aussi de l'occasion pour corriger ses critiques, en février à Munich, de la large politique d'accueil des migrants revendiquée par l'Allemagne. Alors qu'il était venu en Bavière «faire passer un message d'efficacité et de fermeté», lançant alors que «l'Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés», il explique ce jeudi que «l'Allemagne a pris sa part […] avec beaucoup de courage» dans l'accueil des personnes fuyant la guerre en Syrie. Le message à vocation à être entendu à Paris : «J'essaie de poser un certain nombre de jalons de fond, explique-t-il devant la presse. Ce qui va compter, c'est le projet».
Une «ambition» pour la France et l’Europe
Enjambant carrément les élections de 2017, Valls propose dans ce discours de Berlin de se «projeter» après les présidentielles françaises (au printemps) et les législatives allemandes (à l'automne) pour parler de «convergence» de l'impôt sur les sociétés des deux pays et d'une «refondation» de l'Europe qui commenceraient par un rapprochement des systèmes économiques et sociaux français et allemands. «Cette nouvelle Europe, nous aurons du mal à la mettre en place à 28 et même demain à 27, dit-il. La France et l'Allemagne [doivent] agir d'abord à deux.» Et Valls de se poser comme le plus à même de faire le boulot à la place de Hollande : «Je veux mettre mon énergie, et j'en ai bien sûr à revendre […] pour redresser l'Europe. […] Cette ambition, je l'ai pour la France, je l'ai pour l'Europe.»
Sans jamais faire le pas (de trop) qui ferait de lui un candidat déclaré à l'élection présidentielle et dès lors un chef de gouvernement déloyal, le Premier ministre pose ses marques. Quand le rédacteur en chef de la Süddeutsche Zeitung le questionne sur le profil idéal du candidat pour battre Marine Le Pen en 2017, c'est surtout son propre profil qu'il semble dresser : «C'est celui ou c'est celle […] qui permet de préserver le modèle républicain», fait-il valoir, avant de vanter plusieurs fois «la fermeté nécessaire», «mais en même temps la bienveillance». Valls met en avant «l'égalité femmes-hommes», la «laïcité à la française», loue de nouveau un «islam fondamentalement compatible» avec la République. Le candidat idéal, poursuit le Premier ministre, c'est aussi quelqu'un «qui préserve [le] modèle social [tout] en le réformant». «Fermeté», «autorité», «progrès»…, «voilà le profil», insiste-t-il. Et quelqu'un qui n'a «pas peur» de «nommer les choses» tout en faisant «appel à la raison» des électeurs FN. Tout le monde a compris que Valls parle de lui. Il s'arrête, plaisante : «Je suis en train de décrire un profil là et je risque d'avoir des ennuis.» Il y a quelques mois, de tels propos auraient créé une crise au sommet de l'Etat. Plus maintenant.
«C’est au président de la République de faire son choix»
Pourquoi ne dit-il pas clairement qu'Hollande est le «meilleur candidat»? «Je l'ai dit au printemps», se défend-t-il devant les journalistes français après avoir tout de même fait remarquer qu'«il faudrait une dynamique» pour espérer être au second tour dans cinq mois : «il faut que nous-mêmes, nous soyons forts, poursuit-il Les gens attendent un projet, un récit, un sens, une explication du monde». «C'est au président de la République de faire son choix, ajoute le Premier ministre. Je demande qu'on respecte ce calendrier». Mais, constate-t-il, «le PS est en hésitation, en suspension» dans l'attente de la décision du Président et dù verdict de la primaire de janvier. «Il faut être patient», souligne Valls.
En attendant, le Premier ministre ajuste son costume présidentiel au cas où. Dans son échange matinal avec le rédacteur en chef de la Süddeutsche Zeitung, il profite d'une dernière réponse, pour se définir : «Je suis pleinement un social-démocrate. Je fais partie de ceux qui ont fait évoluer ma formation politique, dit-il. Je suis aussi un patriote, [ce qui] est tout le contraire du nationalisme.» En «un seul mot ? Républicain, de gauche, français. Bref, Manuel Valls.» Tout un programme.