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Libération
Reportage

A Lyon, une nouvelle mosquée pour dépasser des années de tensions

Dans le quartier de la Duchère, les responsables du lieu de culte misent sur la fermeté après les divisions créées par l’entrisme d’une minorité salafiste.
Derniers préparatifs avant l’inauguration, dans la salle de prière des hommes, mercredi. (Photo Bruno Amsellem. Divergence)
par Maïté Darnault, Correspondante à Lyon
publié le 17 novembre 2016 à 20h06

Un coup d'aspirateur sur la moquette tout juste posée, un dernier reprisage des rideaux installés à l'étage des femmes : les préparatifs touchaient à leur fin mercredi à la mosquée de la Duchère, à deux jours de son inauguration lors de la prière du vendredi. Les musulmans de ce quartier populaire du IXe arrondissement de Lyon auront désormais un lieu de culte digne de ce nom. «Je ne suis pas contente, je suis très contente !» dit Mme Goul, qui s'affaire autour des rideaux. Elle est l'une des quatre femmes parmi la quinzaine de membres de l'association qui pilotent la mosquée.

Cohabitation. Pendant plus de vingt-cinq ans, les fidèles se sont prosternés dans un préfabriqué et, les jours d'affluence, sous une bâche dans la cour, quelle que soit la saison. Sa mauvaise réputation, la Duchère la tient des prédicateurs sulfureux qui y ont, un temps, fait des émules. En particulier l'imam Abdelkader Bouziane, qui a sévi du milieu des années 1990 à 2000, avant de partir à Vénissieux. Et de se faire expulser vers l'Algérie en 2004, pour avoir cautionné dans Lyon Mag les châtiments corporels sur les femmes, à condition «de viser le bas, le ventre et les jambes». Dans cette interview, le cheikh autoproclamé, polygame, condamnait en revanche le jihad armé. «La Duchère a hérité d'un passé lourd, Bouziane a laissé des adeptes», confirme Abdelkader Laïd Bendidi, membre du Conseil régional du culte musulman (CRCM).

Estimés à une cinquantaine de personnes, sur le millier de pratiquants du quartier, ces salafistes quiétistes (qui font une application très rigoriste du Coran) n'ont pas toujours été perçus comme une menace. A l'époque, il leur arrive d'accéder au prêche du vendredi ou d'assurer les cours dispensés par l'«école» de la mosquée. La cohabitation avec la génération des chibanis (les «têtes blanches»), qui a ouvert la mosquée en 1989, se fait bon an mal an. Et ce jusqu'au début des années 2010 : plusieurs salles de prière du Rhône affrontent alors «des tentatives de coup d'Etat associatif», raconte Hafid Sekhri, conseiller municipal du IXe arrondissement et membre de l'association de la mosquée : «Pendant les assemblées générales, apparaissent des gens qu'on n'a jamais vus avant, ni adhérents ni habitués des lieux. Et qui viennent bourrer le crâne des rigoristes locaux.» Lesquels, malgré l'éviction rapide des meneurs, deviennent plus véhéments. Leur méthode : jeter le discrédit sur l'imam en place, remettre en cause son érudition, ses compétences théologiques. A la Duchère, deux imams font les frais de ce harcèlement, qui aboutit à deux plaintes pour menaces de mort. La première finit en non-lieu en octobre 2015. La seconde est classée sans suite, faute de témoins.

Prosélytisme. Mais cette stratégie d'entrisme a laissé des traces. A deux pas de la salle de prière musulmane, on trouve une église et une synagogue. Or la communauté juive a décidé de quitter sa vieille bâtisse, devenue un gouffre financier, pour un local plus adapté. Et aussi plus éloigné de la nouvelle mosquée, qui surplombe le lieu de culte israélite, en contrebas. Un minaret, 1 000 m², une bibliothèque, huit salles de classe : le bâtiment peut accueillir 900 fidèles. Une équipe renouvelée a pris la tête de l'association en 2013. Un «changement de logique» qui acte l'incapacité des anciens, longtemps tétanisés par le prosélytisme des salafistes, estime le nouvel imam, Hicham Baba.

Diplômé de physique-chimie, habitant de la Duchère, c'est lui qui a déposé la seconde plainte pour menaces de mort. Malgré tout, il se sent «obligé» de continuer, dit-il : «Il ne faut pas laisser la place au vide, c'est un combat spirituel, une forme de résistance.» Qui commence à payer : la mosquée voit revenir des fidèles qui avaient fui les tensions passées. Cette reprise en main est aussi le fruit d'une concertation entre responsables du culte et autorités locales. Dès la pose de la première pierre, en 2005, la mairie de Lyon a encouragé et accompagné l'édification du lieu. Tout comme la préfecture du Rhône, qui fait l'interface entre les injonctions nationales en matière de prévention de la radicalisation, le CRCM et les maires. «Les contacts avec ces responsables sont évidents, fraternels. Mais la question est de faire percoler, que cela descende, devienne une réalité effective», souligne Michel Delpuech, préfet du Rhône et d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Dans le département, près de 500 personnes - dont «300 à 350 en file active», précise-t-il - font l'objet d'un signalement (environ 1 600 dans la grande région). Sur 110 mosquées rhodaniennes, une douzaine sous emprise salafiste donnent lieu à un suivi renforcé. Mais depuis la mise en œuvre des mesures liées à l'état d'urgence, «on se tient à carreau» en Auvergne-Rhône-Alpes, se félicite Michel Delpuech.

Photo Bruno Amsellem. Divergence