Il s'en étonnerait presque. Le blast promis par Nicolas Sarkozy ? Alain Juppé n'a rien senti souffler sur son crâne. Depuis trois ans, et qui plus est son fameux post de blog de l'été 2014 annonçant sa candidature, il jouit d'une insolente cote sondagière. Qui a tenu le choc de la primaire. Les coups de boutoir de son rival, contre «l'identité heureuse», le vol de la primaire par les électeurs de gauche ou l'alliance avec le centre ne l'ont pas déboulonné. Juppé n'est pas Sarkozy, il est même l'inverse et c'est sans doute la plus grande qualité de celui qui caracole en tête des études d'opinion. Mais les sondages, ces temps-ci… Et il y a cette devise que répètent les vieux briscards de la politique : «Il y a toujours une surprise dans une élection.» Qui sait ? Sarkozy va-t-il réussir à surmobiliser son socle ? Va-t-on assister à la remontée fulgurante d'un troisième homme nommé Fillon ? Les juppéistes espèrent que la surprise, cette fois, ce soit qu'il n'y en ait aucune.
La bonne surprise
Avoir assumé «l'identité heureuse», il aurait pu planquer la formule sous le tapis. Sitôt candidat, Sarkozy et les siens ont moqué son angélisme, à leurs yeux à rebours des attentes des Français. Dans un pays qu'on dit crispé sur son identité, Juppé a pris le risque d'enfoncer le clou. Mais quand son rival rabâche que, «dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois» et autres doubles rations de frites, défendre «l'intégration» qui «respecte les différences» devient presque transgressif. Juppé peut s'enorgueillir de ne pas avoir glissé vers la droite dure. Dans le discours. Car sur le fond, il promet un droit du sol sous conditions, une limitation drastique de l'aide médicale d'Etat et du regroupement familial.
Le ratage
Avoir perdu son sang-froid face aux journalistes à Strasbourg. Son équipe s'est fait un peu peur ce 13 septembre. En point presse avant son meeting du soir, le candidat se braque, agacé par les questions des journalistes : «Faut ouvrir ses oreilles, hein», commence-t-il. Interrogé sur l'attaque de Sarkozy qui l'accusait, en déformant ses propos, d'être prêt à «des accommodements raisonnables avec les extrémismes», Juppé, coutumier des intox de son rival, se cabre encore : «Il ne faut pas dire n'importe quoi. Un peu de rigueur intellectuelle !» Depuis il évite les emportements. Mais ce jour-là, on a retrouvé le ton sec que l'ancien Premier ministre était parvenu à dissiper.
La réplique qui tue
«En matière judiciaire, mieux vaut avoir un passé qu'un avenir.» Alors que Bruno Le Maire propose que tout candidat à la présidentielle publie son casier judiciaire et que les sarkozystes rappellentla condamnation de Juppé en 2004 dans l'affaire des emplois fictifs, l'intéressé a riposté aussi sec.
Les mantras
Juppé répète qu'il se voit comme «l'homme de la situation». Il finit ses discours en s'envolant : «Contre les prophètes de malheur, je veux lever une espérance.» Il décline aussi ses slogans : «Réformer, rassembler, apaiser» et «un seul mandat, un seul président» ou «un mandat pour agir».
Le ralliement
Non, s’il ne fallait en citer qu’un, on ne retiendrait pas les Alain, Minc ou Delon, présents dans le carré VIP du meeting du Zénith lundi. Alors disons Jean-Pierre Raffarin, jusque-là sarkozyste. Le giscardo-chiraquien l’a rallié en février. Une préférence logique car, sur le rassemblement large, les deux ex-Premiers ministres de Chirac sont raccord.
Son talon d’Achille
Le risque de démobilisation. Au fond, «est-ce bien utile d’aller voter pour un candidat que les sondages donnent en tête depuis deux ans ?» peuvent s’interroger des électeurs tentés de considérer que la partie est pliée. D’autant que si Juppé ratisse large, son électorat n’a rien du public de fans. Les sarkozystes n’iront pas à la pêche, eux.
Sa mesure phare
Face aux grandes grèves de 1995, le locataire de Matignon avait fait passer sa réforme de la Sécu mais reculé sur la réforme des régimes spéciaux de retraite. «Je note qu'elle n'a toujours pas été faite !» rétorque-t-il aujourd'hui. Juppé prône la retraite à 65 ans pour le régime général, mais veut aussi «transposer cette réforme dans les régimes spéciaux» (RATP, SNCF, EDF…) et pour les fonctionnaires. Cette fois, il veut croire que, puisqu'il annonce la couleur avant l'élection, les Français n'oseraient pas descendre dans la rue. Optimiste.