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Libération
à la barre

Procès Fiona : «Berkane l'a trouvée inerte dans son lit. Il est venu me chercher, j'ai constaté»

Au quatrième jour d'audience, les accusés Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf ont, pour la première fois, évoqué la dernière nuit de la petite fille de 5 ans, devant la cour d'assises du Puy-de-Dôme.
Portrait de Fiona entouré de fleurs et de peluches le 29 septembre 2013 à Clermont-Ferrand (Photo THIERRY ZOCCOLAN. AFP)
publié le 18 novembre 2016 à 11h27

Personne, sans doute, ne prête attention à la vieille tapisserie qui décore le mur blanc de la cour d’assises du Puy-de-Dôme, juste derrière les jurés. A raison, le motif est épais et les couleurs beiges complètement défraîchies. Pourtant la scène – fameux dilemme judiciaire – résonne avec l’audience. Face au roi Salomon, un garde tient un bébé par le pied et s’apprête à le trancher pour satisfaire, à parts égales, deux femmes qui se disputent sa maternité. L’une ne moufte pas. L’autre pousse un cri d’effroi et arrête l’épée, prête à céder l’enfant plutôt que de le voir mort.

Depuis le 14 novembre, la cour se pose une même question : quelle mère est Cécile Bourgeon ? A-t-elle occasionné la mort de sa fille Fiona, 5 ans ? N'est-elle que «l'adjoint du tyran» – selon la formule de l'avocat général – coupable de ne pas broncher alors que l'épée s'abat sur son enfant ? «Etes-vous la femme qui dit "oui" à tout», même aux coups portés sur sa fille par son compagnon ? questionne Me Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et partage, partie civile. L'accusée au visage bouffi par un lourd traitement médicamenteux se contente de se présenter comme «une mère indigne». Formule commode qu'elle brandit opportunément pour se dérober à toute introspection.

McDo, héroïne, pizza

Depuis mercredi, la cour d'assises de Riom qui juge Cécile Bourgeon et son compagnon, Berkane Makhlouf, pour «coups mortels aggravés» suit une sorte de compte à rebours. Les jurés entrent dans le huis clos familial selon une rigoureuse chronologie, ils passent en revue les cinq jours précédant le dimanche 12 mai 2013 où la fillette a été retrouvée morte dans son lit.

Il y a d'abord le mardi, dernière journée où Fiona va à l'école, affublée d'un bandeau jaune retenu par deux barrettes. «Elle s'est pris un coup par Berkane, explique Cécile Bourgeon. Ça lui a fait une petite bosse et un hématome sur la tempe.» A la demande de son compagnon, la mère aurait passé de l'arnica sur la blessure avant de la camoufler sous du fond de teint. «Pourquoi vous participez à ça ?» s'enquiert l'avocat général. «Parce que je n'ai pas été une bonne mère», répond invariablement Cécile Bourgeon.

Mercredi, maintenant. La journée de Berkane Makhlouf débute par une virée chez son dealer, puis un déjeuner familial au McDonald’s et une séance shopping. Sur les écrans de la salle d’audience apparaît alors une capture de la vidéosurveillance du magasin. On y voit la fillette emmitouflée dans un anorak gris, portant le fameux bandeau jaune devenu pièce à conviction. Le jeudi est férié, Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf en profitent pour faire le plein d’héroïne. Vendredi, ils laissent Fiona et sa sœur seules pour aller chercher un certificat médical chez le médecin. Samedi, pizza en famille.

«Tu ne dis pas la vérité»

Comment expliquer le décès de Fiona ? Même après quatre jours d'audience, l'affaire reste aussi brumeuse que le regard des accusés. D'un côté, Cécile Bourgeon évoque des violences répétées de Berkane Makhlouf sur la fillette qui auraient commencé à partir du mois d'avril. «Il l'a frappée trois ou quatre fois, détaille-t-elle. Une fois, Fiona avait mal au ventre, elle m'a dit que c'était un coup de genou.» Sans vraiment l'accabler : «Il n'a jamais voulu la tuer, je ne pense pas qu'il voulait lui faire du mal», «il était malade des nerfs».

Berkane Makhlouf se tient dans le box vitré, bouche ouverte et regard fixe, complètement absent. Il riposte d'une voix traînante qu'il «ne trouve pas normal que Cécile [l]'enfonce». «Je suis impulsif, je suis violent mais les enfants je n'y touche pas, c'est sacré», précise-t-il avant d'ajouter : «Cécile a frappé Fiona une fois, elle lui a mis deux coups de pied et deux claques.» A un seul moment, les deux accusés se tourneront l'un vers l'autre, s'apostrophant mollement : «Tu ne dis pas la vérité», s'agace Berkane Makhlouf. «Toi non plus», répond Cécile Bourgeon.

«La vérité», justement, est devenue arlésienne du procès. «Je ne suis pas encore au clair dans votre participation respective aux coups. Si ce n'est pas vous, c'est elle ?», tente Me Rodolphe Costantino. «Fiona cassait des jouets et parfois se faisait mal», biaise Berkane Makhlouf sans plus se soucier de crédibilité. La défense, elle aussi, tente le coup. «Vous avez tellement changé dans vos déclarations, à quel moment dites-vous la vérité ?» questionne Me Gilles-Jean Portejoie, l'avocat de la mère.

«Un cauchemar»

Sa cliente mentionne alors, pour la première fois, la nuit du décès de Fiona. «Le dimanche, Berkane a retrouvé Fiona inerte dans son lit. Il est venu me chercher, j'ai constaté», confie-t-elle d'une voix presque mécanique. De façon inattendue, c'est Berkane Makhlouf qui s'anime. Il se lève et parle spontanément, longuement. Il évoque le bisou du soir vers 23h30, le lit de Fiona qui grince vers 4 heures du matin, l'enfant qui vomit. Puis, le matin, lorsqu'il entre dans sa chambre : «Du vomi sortait de sa bouche, j'ai essayé de la ranimer, je ne sentais plus son pouls. J'ai dit "je crois qu'elle est morte".» Sa voix se brise. «Je lui ai lavé le visage. Je l'ai reposée au sol. C'était un cauchemar ! Cécile était assez calme, plus que moi. J'étais stressé : qu'est-ce qu'on va faire ?»

Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf prennent alors «une décision conjointement» : se débarrasser du corps. Tous deux expliquent avoir eu peur que les services sociaux leur retirent la garde des «autres gamins» (la petite sœur de Fiona et son petit frère, dont Cécile Bourgeon est alors enceinte). Ils placent la fillette morte «en position fœtus» dans «un sac de maternité» – «Pour moi c'est un gros sac de sport», rectifie Berkane Makhlouf – et montent en voiture. Un voisin a raconté les avoir vus avec un sac-poubelle. «Elle n'est pas à la poubelle plutôt ?» insiste le président. «Non, jamais !» , s'exclame Cécile Bourgeon.

Après deux heures d'errance, aux abords du lac d'Aydat, le couple prend un petit chemin et arrête la voiture. Berkane Makhlouf commence à creuser avec une pelle ramassée dans le coin. Dans un trou «de 50 cm», il glisse le corps nu de l'enfant. Le couple récite une prière sur la sépulture et s'en va. «J'ai mis un peu de feuilles et j'ai fait une petite croix en bois », ajoute Cécile Bourgeon. Le lendemain, le commissariat de Clermont-Ferrand accueille une mère paniquée : sa fille, Fiona, a disparu dans un parc, raconte-t-elle. Commence alors un long mensonge. La cour tente de déterminer s'il a vraiment cessé.