[Actualisation, vendredi 11h15. Trente ans de réclusion criminelle, la peine maximale, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, ont été requis vendredi par l'avocat général à l'encontre de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, jugés pour la mort de la petite Fiona en 2013 devant les assises du Puy-de-Dôme. «Le comportement de ce couple, le scénario macabre, la mise en scène sans que personne ne puisse faire des constatations médico-légales va à l'encontre de la thèse accidentelle (...) Il n'est pas nécessaire que je puisse identifier qui a fait quoi, peu importe importe si l'un a mis trois coups et l'un un seul coup, les deux ne font plus qu'un», a déclaré Raphaël Sanesi de Gentile lors de son réquisitoire.]
Jeudi, comme chaque matin dès l'aube depuis près de dix jours, même sous la pluie battante, la foule se presse dans la petite ruelle de Riom, devant le palais de justice. Le procès de la mère et du beau-père de Fiona, 5 ans, jugés pour «coups mortels ayant entraîné la mort sans intention de la donner», fait salle comble. Certains avouent sans ambages venir voir «les monstres», d'autres sont là «pour entendre la vérité». L'«affaire Fiona» attise des élans de curiosité et une grande empathie avec la victime comme souvent dans ce genre de dossiers. Pourtant, il se joue autre chose devant cette cour d'assises, un pan de l'histoire personnelle de ceux qui se massent devant la lourde porte en bois. Trois ans plus tôt, ils avaient été bouleversés par Cécile Bourgeon en larmes à la télévision, signalant la disparition de sa fille dans un parc de Clermont-Ferrand. Ils étaient partis à la recherche de l'enfant aux grands yeux bleus. Ils avaient tenu la banderole de la marche blanche «Tous ensemble pour Fiona».
Rébus
Aujourd’hui, ils sont là. Bien alignés derrière les barrières de fer, espérant voir les auteurs de cette duperie à l’émotion, ceux qui les «yeux dans les yeux» les ont bernés. Devant la cour d’assises, deux procès se déroulent et s’entremêlent, celui des coups mortels et celui du mensonge.
Alors que les débats s'achèvent, une vidéo apparaît sur les écrans comme si, finalement, tout se résumait à cette fable originelle, point de départ de l'affaire et pièce de clôture de l'audience. «A tous les Clermontois, tous ceux qui peuvent nous aider, c'est vraiment un appel au secours. Le but, c'est de retrouver Fiona, c'est tout», prononce Cécile Bourgeon d'une voix chevrotante, devant les caméras.
Quelques minutes plus tôt, la cour a visionné un autre film dont l'accusée est aussi la protagoniste. Celui de sa garde à vue, le 29 septembre 2013, quatre mois après le simulacre d'enlèvement de Fiona. En pull noir et cigarette à la main, Cécile Bourgeon, sanglotante, fait face à un enquêteur. Elle s'exprime par une succession de phrases courtes. «Berkane s'est fâché avec Fiona», «il était dans la chambre avec elle», «il lui a mis une claque», «il était 18 heures», «elle a vomi», «elle s'est levée pour aller aux toilettes». Le rébus devient scène d'aveux.
Aujourd'hui, Cécile Bourgeon regarde fixement ce double au visage hagard, pesant 50 kilos de moins, qui vient d'admettre que sa fille ne s'est pas volatilisée mais est décédée dans son rejet gastrique, un dimanche de mai 2013. «J'ai lâché prise, j'ai sorti tout ce que j'avais au fond de moi et qui m'a hanté pendant quatre mois», dit-elle. L'affaire peut finalement se lire à l'aune de ces deux séquences, celle du mensonge et celle de la vérité (ou du moins de son apparence). A quel moment les deux affabulateurs ont-ils cessé la dissimulation ? Est-ce lors de cette garde à vue ? Plus tard, au cours de l'instruction ? Aujourd'hui, devant les jurés ? Jamais ? Faute de disposer du corps de l'enfant pour élucider les circonstances de sa mort, la cour n'a eu de cesse d'autopsier la parole des accusés. Durant neuf jours, les jurés se sont perdus dans leurs versions changeantes et leurs souvenirs confus. Ils se sont heurtés à Cécile Bourgeon parant les questions gênantes d'un mea culpa de «mère indigne» ou Berkane Makhlouf serinant qu'il n'a jamais frappé d'enfants, «sacrés» à ses yeux. Ils ont déplacé à l'infini les mêmes pièces sans parvenir à construire le puzzle : le bandeau jaune pour cacher l'hématome de Fiona, l'arnica, les maux de ventre, le vomi, la mort, l'enterrement. Ils se sont échinés à percer l'intimité de ce «couple explosif» qui ne leur a offert qu'un visage sans émotion et une amnésie parfois bien opportune.
Vœu de silence
Résigné, le président, Dominique Brault, s'apprêtait donc mercredi soir à clore les débats sur un désastre : huit jours d'audience et toujours aucune révélation sur la mort de Fiona. Comme s'il fallait se rendre à l'évidence que ce box, occupé par deux anciens toxicomanes perdus dans les brumes médicamenteuses, était impénétrable. Néanmoins, à 21 h 30, une fissure. «Oui, j'ai menti», murmure Cécile Bourgeon au sujet des coups au thorax qu'aurait portés Berkane Makhlouf à la fillette, la veille de sa mort. «C'était une invention ?» insiste Dominique Brault. «Oui. Il n'arrêtait pas de m'accabler. Je l'ai très mal vécu, j'ai voulu l'accabler un peu plus», lâche-t-elle. L'audience s'achève dans un cafouillage généralisé. Le lendemain, Cécile Bourgeon, mine renfrognée, déclare : «Monsieur le président, je décide de garder le silence jusqu'à la fin de ce procès, à chaque fois que je parle, mes propos sont déformés et le public ne cesse de réagir.» Il faut croire que la nuit porte conseil (ou, plus sûrement, les avocats).
Face à ce mutisme, Dominique Brault inverse les places. Et les rôles ? Berkane Makhlouf apparaît dans la partie ouverte du box. Comme s'il venait de prendre une bouffée d'oxygène hors de l'aquarium vitré, il s'anime. Ose même une tirade. «Avec Fiona, on allait donner à manger aux canards, je jouais au ballon avec elle dans le couloir, j'ai son sourire dans la tête. C'était des moments de bonheur», raconte-t-il d'une voix émue. Pendant dix minutes, il ne s'arrête plus, s'exprimant avec une vivacité qui tranche avec son apathie ordinaire. «Moi j'accepte la prison parce qu'on a menti, qu'on a fait l'enterrement nous-mêmes. Pas parce que j'ai porté des coups. Je ne suis pas un bourreau d'enfants !» achève-t-il. «Et vous ? souffle Me Marie Grimaud, avocate de l'association Innocence en danger, s'adressant à Cécile Bourgeon. Vous êtes un bourreau d'enfants ?» L'accusée se lève, hésite un instant. Puis abandonne son vœu de silence.
«Quand Fiona est née, j'étais à la maternité, elle faisait 51 cm et 3,430 kg», commence-t-elle. Elle parle de ce jour où, à 20 ans, elle s'est «sentie devenir mère», se souvient de Fiona si éveillée, ouverte et expressive, Fiona qui marche à 13 mois et devient propre à 17 mois. «C'était ma fierté», poursuit-elle. Ensuite naît E., «3,230 kg», un accouchement difficile, in extremis, dans les toilettes de la maternité. Puis B., «4,5 kg» : «Je pleurais parce que j'allais mettre au monde un enfant alors que j'ai perdu ma fille», dit-elle s'agrippant à son paquet de mouchoirs. Elle conclut : «Si je n'avais pas menti pendant ces quatre mois, j'aurais peut-être retrouvé le corps de Fiona. C'est dur à accepter, les gens se disent : "elle continue de mentir".» Les deux accusés qui ne se sont, jusque-là, pas fait l'aumône d'un regard, s'apostrophent. Elle l'accable concernant les violences. Il riposte : «Arrête Cécile, tu vois bien que c'est grave ce que tu racontes ! On est en cour d'assises.» «Quand j'ai menti, je le reconnais. Les bleus, c'est à vélo qu'elle est tombée ?» lui assène Cécile Bourgeon. Sans rien obtenir : «Tu m'as vu mettre un coup à Fiona ? Sois sincère. Elle est où la vérité là-dedans ?»
Elan
C'est justement ce que se demande chacun des protagonistes de la salle d'audience. Avec cette impression dérangeante que le procès semble commencer au moment où il s'achève. La faute au planning sans logique et trop rigide du président ? Dans un dernier élan, Me Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et Partage, s'approche de la vitre jusqu'à ne laisser qu'un mètre entre Cécile Bourgeon et lui. Il vient lui parler d'amour, de ce petit garçon qui reste, de la vie d'après : «On ne peut pas recommencer sur des sables mouvants, sur du mensonge, sinon c'est comme avant. Il doit sortir quelque chose de positif de ce procès pour vous aussi, aussi bizarre que cela puisse paraître.» Cécile Bourgeon répond après un léger silence : «Le souci, c'est que j'ai tout donné, je sais que ce n'est pas assez», «Moi j'ai la conviction que vous vous souvenez du moment où Fiona est morte, des coups. Est-ce qu'il y a des choses que vous aimeriez dire pour que vous puissiez être libérée du mensonge ou du silence ?» insiste Me Costantino. «Je ne sais pas de quoi Fiona est morte», maintient-elle. La cour d'assises ne saura pas non plus. Pas plus que le public si empressé chaque matin. Faute de vérité, il faudra se contenter d'un moment d'authenticité. Le verdict est attendu vendredi soir.