Manuel Valls passe aux armes non conventionnelles. Après cinq semaines passées à épuiser tout l'arsenal classique - tension, friction, différenciation - face à un François Hollande mutique sur son avenir, le Premier ministre n'est plus qu'à un tout petit pas de la trahison. A l'occasion d'un déplacement à Rouen vendredi, il a mis en garde le chef de l'Etat sur une candidature à un second mandat. «Chaque décision qui doit se prendre dans les jours qui viennent devra tenir compte du seul intérêt de la France, de la gauche et de sa famille politique. Chacun devra se déterminer en fonction de ces trois exigences, de ces trois défis», prévient Valls quand les journalistes de Paris-Normandie l'interrogent sur les intentions du Président. Il suffit de retourner la formule pour avoir la version non expurgée : aux yeux du Premier ministre, la candidature Hollande est mauvaise pour le pays, pour la gauche et pour le PS. Et Valls d'ajouter qu'il «n'imagine pas manquer le rendez-vous» de 2017 .
Pas du genre à mourir sans combattre
Quelques heures plus tard, le Premier ministre minaude sur sa propre candidature : «Je vous rassure, je vous inquiète ou je vous déçois, mais il n'y aura pas d'appel de Rouen.» Avant d'ajouter qu'il «serait bien tenté» par l'aventure. Exit la loyauté institutionnelle dont il avait pourtant fait sa marque de fabrique : Valls pense désormais qu'il peut gagner la présidentielle ou, à tout le moins, sauver les meubles lors des législatives, et donc préempter l'avenir du PS. Il sait surtout qu'une fois la primaire de droite emballée dimanche, tous les projecteurs seront braqués sur Hollande. N'étant pas du genre à mourir sans combattre, Valls augmente la pression dans l'espoir, désormais assumé, de faire renoncer le Président. On est loin d'un Montebourg qui se fait fort de «plier» Hollande à la loyale dans le cadre de la primaire ou d'un Macron démissionnant du gouvernement pour se lancer dans la bataille, quitte à faire perdre la gauche.
Alors qu'il réduisait le gaz sous la casserole de l'exécutif depuis un gros mois dès qu'une petite phrase assassine fuitait, son entourage a choisi cette fois de mettre de l'huile sur le feu. Pour 2017, «il y a un candidat du renoncement et un candidat de l'espérance», assène Luc Carvounas sans avoir à distribuer les rôles pour qu'on comprenne. Le sénateur du Val-de-Marne, membre du premier cercle vallsiste, a décidé de ne pas donner son parrainage d'élu à Hollande s'il se déclare, attendant le résultat de la primaire pour se décider.
«Plus d’autorité et Moins de burkini»
Depuis la parution, mi-octobre, du livre «Un président ne devrait pas dire ça…» les relations entre Hollande et Valls ont connu des bas et des très bas. Poussé par les siens, le Premier ministre a varié, avancé puis reculé. Comme la semaine dernière, quand il a demandé à ses lieutenants de ne plus commenter les sondages le donnant gagnant face à Hollande, Macron ou Montebourg. «Des proches cités par les médias en off parlent d'un coup fatal au Président. Je ne veux pas de ça», intimait le Premier ministre. «La différenciation, oui, le clash, non», jurait alors Carlos Da Silva, principal artisan de l'entreprise Valls. D'où une série de discours sur le fond - éducation, mais aussi Europe et mondialisation - qu'il dresse comme autant de digues face au FN, esquissant le portrait d'un Valls en candidat de la France des déclassés. «Trump et Macron confortent son envie de se battre jusqu'au bout pour le pays et pour la gauche», explique un confident du Premier ministre. Vallsiste patenté, Jean-Marie Le Guen allonge la liste des périls, évoquant la fragilité d'un Matteo Renzi en Italie ou la progression de l'extrême droite aux Pays-Bas et en Autriche. «La situation est d'une gravité exceptionnelle et doit nous conduire tous, François Hollande compris, à être à la hauteur de nos responsabilités», estime le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement. Dans l'entourage de Hollande, on enrage : «Ce sera quoi sa ligne ? Plus d'autorité et moins de burkini. C'est un peu court après avoir passé deux ans à clamer partout qu'il n'y avait pas une feuille à papier cigarette entre lui et Hollande.»
Ces derniers jours, après avoir affirmé «le pays a besoin de force et j'ai cette force», puis «je suis prêt, comme d'autres, à faire campagne», Valls a laissé dire ses proches qu'il n'avait «renoncé à rien». Sans plus de détail. Lundi matin, devant sa «TPE» réunie à Matignon comme chaque semaine, il a même donné dans le chantage. «Si je ne fais pas campagne, ça se verra très vite», a lâché celui qui fut l'une des pièces maîtresses de celle de 2012. Mercredi, la réunion du groupe PS à l'Assemblée a donné lieu à une passe d'armes entre partisans de Valls et de Hollande, tournant à l'avantage des premiers. Dans cette guerre de moins en moins froide, les derniers propos du Premier ministre sont «le signe que Manuel Valls se désolidarise absolument d'une candidature de François Hollande, qui serait une erreur historique dramatique», décrypte un membre du premier cercle vallsiste. Le futur candidat de la gauche de gouvernement ayant pour l'heure très peu de chance d'être le prochain président, l'entourage de Valls explique en boucle que le problème se pose donc bien en termes de responsabilité politique et non d'ambition personnelle. «Tout ça, laisse échapper un ami de Valls, c'est juste parce qu'un microbe s'est retrouvé avec la couronne» en 2012.