François Hollande. Gouverne sans sa gauche

De laisser, comme à son habitude, s’installer un flottement dans son camp et de ne pas avoir eu de gestes assez forts pour rassembler la gauche en 2016. En prenant la décision, en fin d’année dernière, d’inscrire au menu de la révision constitutionnelle la déchéance de nationalité pour les terroristes condamnés, François Hollande a fait exploser le cœur de ses derniers soutiens. Puis, en inscrivant une loi travail bancale et mal pilotée au menu des réformes de fin de quinquennat, le chef de l’Etat a empêché toute tentative des siens de retisser des liens avec sa majorité de 2012. La sortie du livre de confidences
«Un président ne devrait pas dire ça…»
a ensuite ouvert une crise au sommet de l’exécutif et offert à Manuel Valls et les siens l’opportunité de mener leur propre opération Elysée et de tourner la page Hollande, alors que c’est la droite, avec sa primaire, qui aurait dû se montrer divisée.
Ce qu'il répond. Que la «grande explication» avec la gauche aura lieu dans la campagne. S'il compte «assumer» la loi travail, il a prévu de faire amende honorable sur la déchéance de nationalité. Avec l'accord de Paris sur le climat et la non-évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, il veut prouver qu'il a la fibre verte. Il n'a donc aucune raison d'accélérer son calendrier. François Hollande dira «début décembre» s'il est candidat à sa réélection. Et puisque, en juin, la décision du patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, d'organiser une primaire de la «Belle Alliance populaire» (BAP) s'est prise en concertation avec l'Elysée, on voit mal le chef de l'Etat décider de s'y soustraire alors que ses opposants internes (lire page 3) sont déjà en campagne. (Photo Marc Chaumeil)
Manuel Valls. Théoricien de la division

D’avoir fracturé la majorité et de n’avoir jamais créé, depuis son arrivée à Matignon, les conditions pour rassembler la gauche. Depuis un discours en février à Corbeil-Essonnes, le Premier ministre juge qu’il y a, à gauche, des
«positions irréconciliables»
qu’
«il faut assumer».
En contradiction avec l’objectif du PS de recoller les morceaux à gauche, Valls n’a cessé de chauffer à blanc son propre camp sur les sujets économiques (loi travail), démocratiques (utilisation du 49.3), écologiques (Notre-Dame-des-Landes) ou d’identité (burkini, déchéance de nationalité…), empêchant toutes retrouvailles. La fracturation a désormais atteint le sommet de l’exécutif : alors qu’il répétait être «
loyal»
envers le chef de l’Etat, le voici qui se pose ouvertement en alternative à Hollande
(lire pages 4-5),
prenant au passage le risque d’une crise de régime. Pour certains hollandais, sous couvert de respect institutionnel, Valls travaille depuis un an à empêcher une candidature du Président.
Ce qu'il répond. Qu'il est «loyal» mais «libre». Depuis son discours de Colomiers fin août, Valls s'est engagé dans un processus de distanciation vis-à-vis du chef de l'Etat. Pas sur la politique menée, mais sur «l'incarnation». Pour gagner, confiait-il il y a dix jours à Berlin, «il faut une dynamique». Sous-entendu : lui peut sauver la «gauche de gouvernement», pas Hollande. «Qui sape les fondamentaux ? Qui a écrit ce livre ? [«Un président ne devrait pas dire ça…», ndlr] Ce n'est pas Valls…» fait valoir un de ses proches. Appelant à un «dépassement» du PS, Valls n'a jamais caché que les socialistes devaient sortir de leurs alliances classiques pour fonder une «alliance des progressistes» tournée vers le centre et les «républicains». (Photo Albert Facelly)
Jean-Luc Mélenchon. Toujours insoumis

Jean-Luc Mélenchon a toujours envoyé valser la primaire. Ce n’est pas son truc. Alors qu’il aurait pu être le détonateur d’un tel scrutin. Sa participation aurait obligé toute la gauche à se pointer derrière le pupitre et à faire vivre un débat unique. Mélenchon face à Hollande, Montebourg, Hamon, Jadot… Une belle photo et des projets qui s’affrontent. Mais non. Il a préféré se plonger seul dans l’histoire : Mélenchon et sa «France insoumise» ouverte à tous mais à condition d’accepter les règles qu’il a lui-même fixées.
Ce qu'il répond. Jean-Luc Mélenchon ne se dérobe pas. Pourquoi il ne participe pas à la primaire ? «J'ai un devoir de loyauté. Je ne vais pas à la primaire socialiste parce que je ne suis pas prêt à me soumettre à une décision qui me serait contraire.» Comprendre : pas question de se ranger derrière le vainqueur en cas de défaite. Mieux, dimanche soir, le candidat de la France insoumise, qui se pose en rempart, a proposé un débat à François Fillon, qui venait de remporter la primaire de la droite. Une manière de signifier que la gauche, c'est lui. «Je connais mon adversaire politique, et je lui propose un débat, puisque c'est moi qui suis à la tête de ma famille politique», a-t-il expliqué quelques minutes après la victoire de Fillon. Le député européen a le regard fixé sur les sondages qui le placent devant (presque) toutes les autres candidatures à gauche. Aujourd'hui, seul Emmanuel Macron lui résiste. En fait, Jean-Luc Mélenchon veut enfiler le costume du vote utile pour atteindre le second tour de la présidentielle. Et tant pis si toute la gauche, la sienne comme celle de Hollande, ou de Montebourg, reste à quai face à la droite et au FN. (Photo Rodolphe Escher)
Emmanuel Macron. L’appel au centre droit

De s’être désolidarisé de François Hollande en démissionnant du gouvernement le 30 août alors même qu’ayant été secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie, il a largement inspiré la politique sociale-libérale mise en musique à partir de janvier 2014, en dépit de la fronde de l’aile gauche du PS. Emmanuel Macron contribue aussi à l’éparpillement de la gauche en refusant d’inscrire sa candidature dans le cadre de la primaire.
Ce qu'il répond. Macron s'est toujours défendu d'une quelconque déloyauté vis-à-vis du Président. «J'accepterais les reproches de déloyauté ou de trahison si j'avais dérogé aux engagements pris au départ ou si j'avais, comme d'autres en leur temps, rejoint un candidat mieux placé pour l'emporter», a-t-il expliqué. Même s'il se dit «de gauche», le fondateur d'En marche ne se reconnaît pas dans un PS qui «ne repose plus sur une base idéologique suffisamment cohérente» et où «les débats d'idées sont devenus le paravent des combats de personnes», les primaires en étant, selon lui, «la caricature». Surtout, instruit par les déboires de Hollande, Macron est convaincu que sa ligne économique et sociale très «deuxième gauche» serait rejetée par une majorité de socialistes. «Rocard était un homme de parti, c'est notre principal point de divergence. Parce qu'il était minoritaire…» nous avait-il confié mi-septembre. Pour faire triompher sa ligne, Macron espère trouver du renfort au centre droit. A l'en croire, une seule chose pourrait l'empêcher de porter son projet jusqu'au bout : «Voir qu'à un moment donné, je deviens un danger ou un obstacle pour que les idées que je porte puissent accéder au pouvoir.». (Photo David Richard. Transit)
Sylvia Pinel. Se lancer… puis négocier

L’ex-ministre Sylvia Pinel a finalement décidé, samedi, de se présenter à la présidentielle sans passer par la case primaire, alors que son parti, le Parti radical de gauche (PRG), a trois représentants au gouvernement. Beaucoup y voient une manœuvre pour éviter que leurs élus filent chez Macron. La décision donne aussi des arguments à ceux, au PS, qui réclament l’annulation de cette primaire. Avec cette justification : puisqu’elle a été pensée pour rassembler la gauche et que même leurs derniers alliés n’y participent pas, pourquoi ne pas désigner en interne un Hollande ou un Valls ?
Ce qu'elle répond. Que cette candidature n'ira pas forcément au bout et qu'en fonction du candidat socialiste désigné en janvier, elle pourrait être retirée. Il n'en fallait pas plus pour soupçonner le PRG d'utiliser la candidature de Sylvia Pinel comme argument de négociation dans un accord législatif et - surtout - sénatorial. (Photo Pascal Guyot. AFP)
Yannick Jadot. Gagnant de sa primaire

Au printemps dernier, Yannick Jadot a traversé la France avec Thomas Piketty, Daniel Cohn-Bendit, Marie Desplechin,
Libération
… pour demander l’organisation d’une grande primaire de la gauche avant 2017. Objectif : rassembler aussi large que possible dès le premier tour de la présidentielle. Yannick Jadot argumentait :
«Si on ne se rassemble pas, la gauche risque de disparaître.»
Volte-face quelques mois plus tard : l’écolo remporte la petite primaire organisée par Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) et snobe la grande primaire qu’il préconisait.
Ce qu'il répond. «Les écolos ont toujours été présents au premier tour de la présidentielle, notamment en 2012, et François Hollande a gagné.» Autre argument : Yannick Jadot juge utile qu'un candidat porte les valeurs de l'écologie politique lors de cette élection et tant pis pour le rassemblement. (Photo Laurent Troude)