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Analyse

Valls-Hollande, six semaines de disputes de couple

Entre le chef de l’Etat et son Premier ministre, les relations sont passées de très tendues à «cordiales» ces dernières semaines, évitant de peu une crise au sommet.
Le président de la République et le Premier ministre, à Paris, le 11 novembre. ( Photo Stéphane de Sakutin. AFP)
publié le 28 novembre 2016 à 20h56

C'est une question à poser aux académiciens : à quel moment de l'automne la cordialité est-elle devenue synonyme d'acrimonie ? Après un week-end qui ressemblait en tout point à une crise de régime, François Hollande et Manuel Valls se sont expliqués lundi, lors d'un déjeuner à l'Elysée. Officiellement, les deux têtes de l'exécutif ont fait «assaut de cordialité». «François a dit à Manuel d'arrêter ses conneries une bonne fois pour toutes», décrypte un proche de Hollande en langage moins onusien. Après des tensions grandissantes entre les deux hommes, il n'y aura - pour l'instant - ni démission, ni remaniement, ni candidature du Premier ministre contre le Président. Retour sur six semaines où «la vérité de chaque jour n'est pas celle de la veille ni celle du lendemain», selon la formule du principal lieutenant de Valls, Carlos Da Silva.

Premier «choc». Quatre jours après la parution d'« Un président ne devrait pas dire ça», Valls retrouve Hollande à l'Elysée. Un dimanche, de bonne heure. Le ton monte vite. «Ce qui ne va pas du tout, attaque le chef du gouvernement qui a avalé l'ouvrage d'une traite dans l'avion le ramenant du Canada, c'est la question de l'exercice du pouvoir. Faire un exercice de transparence et de vérité, très bien, mais ça, ça me heurte.» Le chef de l'Etat laisse s'écouler la colère dans l'espoir de la tarir. «Il y a un choc chez nous», tonne Valls, persuadé que Hollande ne réalise pas l'ampleur des dégâts. De fait, s'il est déstabilisé, Hollande n'en laisse rien paraître et fait à Valls la même réponse qu'à tous les socialistes paniqués : «Est-ce qu'il y a un plan B ? Non. Malgré tout, je suis toujours là…» La meilleure défense, c'est l'attaque.

«Tu arrêtes, Manuel». Sauf que la vieille technique du dos rond ne suffira pas. Hollande effectue une visite Potemkine à Florange, sans croiser un seul journaliste, et les chefs de la majorité s'agonissent lors d'un dîner à l'Elysée. Outré par les confidences des uns et des autres publiées par le Canard enchaîné, Hollande attaque frontalement Valls qui, lui, met tout sur le dos des «entourages». «Toi aussi, tu as un entourage, ça suffit», cingle le Président. Le premier secrétaire du PS abonde : «Ce sera François le candidat, point. Tu arrêtes, Manuel.» Cornerisé, le Premier ministre contre-attaque : «Autour de cette table personne ne t'a jamais fait défaut», lance-t-il. «Ce n'est quand même pas nous qui avons écrit ce bouquin.» La majorité se lézarde de toutes parts. «Le problème avec les morceaux, c'est les gros», reconnaît alors Stéphane Le Foll. Comprendre Valls. Les petits morceaux ne vont pas mieux. Il y a du vague à l'âme à l'Elysée. «La différence entre DSK et Hollande, c'est que DSK ne pouvait pas s'en empêcher, c'était un malade du sexe, lâche un conseiller présidentiel. Mais parler aux journalistes, c'est quand même un besoin répressible, non ?»

«Si…, on était morts». Après un (nouveau) Conseil des ministres sans un seul mot sur le livre et la crise corollaire, Hollande file à Bruxelles à l'heure où un SMS commence à circuler dans la majorité appelant à signer un appel contre la candidature du chef de l'Etat à paraître dans le JDD. Valls n'en croit pas ses oreilles, s'en remet à ses yeux. «Montrez-moi ça, montrez-moi ça», intime-t-il à ses proches, dont il attrape le téléphone portable. A l'Elysée, c'est la panique. «S'il y avait eu le moindre mouvement ce soir-là, on était morts», reconnaît un membre du premier cercle de Hollande. Qui se rassure comme il peut : si personne n'a signé, c'est que les socialistes ne veulent pas d'un règlement de comptes en coulisse. En gros, Hollande peut être battu mais cela doit se faire à la loyale, via la primaire.

«Honte». A Matignon, la colère de Valls va grandissant, indexée sur celle des élus PS qui viennent chercher un peu de lumière dans le brouillard présidentiel. Le Premier ministre fait jurer le silence aux journalistes qu'il reçoit en tête-à-tête à Matignon : «Tout est de la nitroglycérine en ce moment. L'Elysée est très nerveux.» «Les socialistes s ont révoltés, abattus, écœurés, confie-t-il. Il y a une forme de honte.» Des mots violents qu'il répétera publiquement une semaine plus tard, amplifiant la crise au sommet. Avant cela, il y aura la provocation de Claude Bartolone devant les députés PS, sous l'œil impassible de Valls. Pour le président de l'Assemblée, quatrième personnage de l'Etat, «il y a un problème d'incarnation au sommet de l'Etat». «Hollande était fou de rage, selon un visiteur de l'Elysée. On a été des bleus. On n'a rien vu venir.»

Hachis. Décision est prise de sortir de l'Elysée et de Paris, de quadriller le terrain, de renouer avec les discours et les petites salles dans les petits villages. Exit le nouveau grand «discours de Wagram» sur les questions sociales : l'heure est au raccommodage de majorité désabusée. Cela passe même par des déjeuners secrets au domicile de députés. Comme le 29 octobre, chez Luc Belot, près d'Angers, où Hollande essaie de percer l'abcès de la crise et de se projeter dans le futur. «Il y a encore tant à faire pour les Français», laisse-t-il échapper. En finissant leur hachis parmentier, les invités socialistes ne doutent plus de sa volonté d'être candidat.

Mur. De son côté, Valls change de méthode. Les sondages s'accumulent, actant une cassure entre les socialistes et le Président. Depuis quelque temps, le Premier ministre quitte la séance de questions d'actualité à l'Assemblée quinze minutes avant la fin pour aller slalomer dans le salon Delacroix (réservé à la majorité) et recueillir les soutiens de députés dépités. «Il monte son mur, il ne balance pas de pierre dans le jardin de Hollande», tente le député vallsiste Philippe Doucet, sans convaincre. Valls pense désormais qu'il peut faire mieux que Hollande à la présidentielle et sauver les meubles aux législatives. Les parlementaires l'écoutent d'une oreille attentive. Mais, note un ministre, «Valls ne peut pas jeter le bilan, sinon c'est sa mort personnelle et la mort de la gauche de gouvernement. Donc il n'y a aucune campagne possible pour lui.» Ne reste que le discours sur l'incarnation et la mobilisation.

«Président boa constricteur». Débarrassé de l'épée de Damoclès du chômage, François Hollande essaie toujours de renouer le fil avec les socialistes. Le 8 novembre, il déboule au ministère de l'Agriculture où 80 députés ont été réunis à grand-peine. Pourtant, des hauts parleurs ont été installés près du buffet, preuve de l'affluence espérée. Le Président choisit de survoler et le livre et le bilan. Il déçoit. «Il sait qu'il est bon en discours, là il décide de ne pas l'être», commente un invité. «Il parlait comme si BFM filmait de l'intérieur. Il n'était pas dans le déni mais sur ses gardes», justifie un des organisateurs a posteriori. Dans cette ambiance délétère, les rumeurs les plus folles fleurissent. Le microcosme se fait peur avec la démission «imminente» de Manuel Valls, juste avant l'annonce de candidature d'Emmanuel Macron, le 16 novembre. Sous ces tirs croisés, François Hollande appelle son Premier ministre, lui rappelle son calendrier - rien avant décembre - et passe une consigne : «On lève le pied sur le livre.»

Deux jours plus tard, Julien Dray est reçu, à sa demande, à Matignon. «Dans ces moments-là, il faut toujours se parler», justifie l'ami de Hollande et principal artisan d'une nouvelle candidature présidentielle. Qui n'interroge pas le Premier ministre sur ses intentions. A droite, François Fillon sort en tête du premier tour de la primaire, qui a rassemblé plus de 4 millions de Français. Preuve qu'il faut une ligne claire, une personnalité solide et une capacité de mobilisation : Valls bascule donc dans l'empêchement de Hollande. Avant une offensive par voie de presse inédite, il assure à ses proches le 21 novembre qu'il n'a «renoncé à rien». Une semaine plus tard, le président boa constricteur étouffe de nouveau les velléités de son Premier ministre. Au nom des institutions. Sans cri ni anathème. «François n'aime pas les ruptures, sourit un de ses proches. Il n'aime pas les choses irréconciliables.»