Le brouillard ne s'est pas levé de la journée. Peu importe d'ailleurs. Cela donne de la poésie à l'abbaye cistercienne de Royaumont, dans le Val-d'Oise. Ici, vendredi et samedi, on est en «Fillonie». Et «même en Fillonie catholique», appuie l'un des 700 participants aux Entretiens de Royaumont qui se tiennent, vendredi et samedi, dans ce lieu prestigieux. «Il y a trois mois, personne n'aurait dit cela», s'insurge (très poliment) Vincent Montagne, le PDG de Médias Participations, groupe d'éditions et de presse qui publie l'hebdomadaire conservateur Famille chrétienne. Avec le député LR du Val-d'Oise, Jérôme Chartier, porte-parole influent de François Fillon et le très catholique Henri de Castries, l'ex-PDG d'Axa, l'un des concepteurs du programme du candidat à la présidentielle, il forme le trio qui organise chaque année ces rencontres.
Fillon est souvent venu. Mais cette année, il n'est pas annoncé. Pourtant le thème, «croyant et citoyen», est très raccord avec les débats qui ont agité l'entre-deux tours de la primaire à droite. Mais c'est un pur hasard ! C'est Vincent Montagne qui a voulu qu'on traite de ce sujet : «Parce que le fait religieux s'est imposé dans l'actualité.» «La laïcité ne doit pas s'ériger en absolu. Les aspects religieux doivent être aussi pris en compte», nous confie-t-il.
Depuis une douzaine d'années, aux Entretiens de Royaumont, il est passé beaucoup de beau monde, des intellectuels, des chefs d'entreprise, des ministres de gauche et de droite, Christine Lagarde, Manuel Valls ou encore Michel Sapin. En 2011, François Hollande est lui aussi venu plancher. «Il nous a parlé de social-démocratie», précise Vincent Montagne. Invité depuis trois ans, l'évêque de Pontoise, Stanislas Lalanne, n'y avait pas encore mis les pieds. Cette année, il a dégagé une journée dans un agenda très chargé. En «Fillonie», alors ? «Je suis surtout dans mon diocèse», réplique-t-il.
La vedette, c’est Barbarin
Dans l'ancien réfectoire des moines, l'assistance, issue principalement des milieux d'affaires et de l'entreprise, écoute doctement le philosophe Fabrice Hadjadj, très prisé des milieux catholiques conservateurs. Selon lui, la laïcité plonge davantage ses racines dans «la théologie catholique qui distingue le temporel et le spirituel» que dans Montesquieu. «Le laïcisme est le contraire de la laïcité», poursuit-il, exaltant l'héritage judéo-chrétien de l'identité de la France. Suit le patron de Total, Patrick Pouyanné, venu expliquer combien le fait religieux était aujourd'hui un paramètre de la vie d'une entreprise comme la sienne, impactant même les cours du pétrole. «Aujourd'hui, la rivalité entre les chiites et les sunnites est comparable aux violences que nous avons connues en Europe entre catholiques et protestants», dit-il. Proche de Jérôme Chartier, le grand rabbin Haïm Korsia impose la présence de Stanislas Lalanne dans le débat qu'il a avec Tareq Oubrou. Aux Entretiens de Royaumont, la vedette catholique, c'est plutôt le conservateur archevêque de Lyon, Philippe Barbarin, qui intervient samedi.
L'autre chouchou, c'est Hakim El Karoui, auteur pour l'Institut Montaigne (présidé par Henri de Castries) d'un rapport sur les musulmans qui a fait grand bruit à la mi-septembre. Il faudra sans doute compter sur lui en cas de victoire de Fillon en 2017. Il plaide pour que l'on mette en place des structures à même de financer l'islam de France qui ne doit plus être «sous la tutelle des pays étrangers, ni de l'Etat français». Au lendemain du retrait de François Hollande de la compétition présidentielle, son ministre de l'Intérieur, chargé des cultes, Bernard Cazeneuve est, lui aussi, en «Fillonie». Très consensuel, il fait rire l'assistance à propos de son proche avenir, confesse qu'il est un habitué des lieux (il possède une maison dans le voisinage), cite Jean-Paul II et le pape François, célèbre une laïcité en dialogue avec les religions. De quoi plaire indéniablement à Royaumont.