D'un cours d'éducation civique au lycée Jean-Moulin de Béziers en compagnie de Robert Ménard à la visite d'un établissement labellisé Réseau d'éducation prioritaire, Libération a suivi la ministre de l'Education nationale.
7h30. Au lycée Jean-Moulin, à Béziers (Hérault), un lycée «polyvalent» accueillant plus de 2 300 élèves. L'histoire de cet établissement est tragique : une prof de maths s'est immolée par le feu ici, dans la cour, en octobre 2011. Et le proviseur adjoint s'est suicidé trois ans plus tard, en juin 2014. Il y a encore peu de monde, et tous attendent déjà la ministre. «"La" ministre ? Ah parce que c'est une femme ? Je croyais que c'était un mec», lance une gamine en jeans-baskets.
9h00. Ceux qui attendent depuis bientôt une heure, plantés dans la cour, sont frigorifiés.Enveloppé dans son manteau noir, Robert Ménard, le très médiatique maire de Béziers a fait son apparition quelques minutes plus tôt. Jusque-là, personne ne semblait savoir s'il allait être présent lors de cette visite ministérielle.
Il paraît que Ménard a lui-même usé ses pantalons sur les bancs de cet établissement, il y a longtemps. Depuis, il entretient d'autres types de relation avec le lycée : en début d'année, une lettre lui a été adressée par 29 profs d'histoire-géo (dont 13 du lycée Jean-Moulin). Cette lettre demandait au maire de Béziers de ne plus «torturer la mémoire de Jean Moulin» figure immense de la résistance natif de la ville. Ils dénonçaient «l'instrumentalisation et le retricotage de l'Histoire à des fins strictement polémiques». Bruno Modica, l'un des signataires de cette lettre, sera parmi les premiers à serrer la main de la ministre – parce que justement, là voilà.
9h02. A peine sortie de sa voiture, Najat Vallaud-Belkacem est conduite dans une salle de classe. Les officiels tassés debout ou sur les chaises du fond, les élèves de terminale devant. Assise parmi eux, la ministre ne détonne pas une seconde. Personne n'a eu le temps de lui demander ce qu'elle pense de la décision de François Hollande. Nul doute, ce sera pour plus tard. Elle ne saurait y échapper…
9h05. Le cours d'enseignement moral et civique débute sur les chapeaux de roue. Thème retenu pour cette visite ministérielle : la laïcité. L'exposé est forcément un poil tendu, les flashs des photographes qui crépitent dans les rangs n'aident pas la prof d'histoire-géo à se concentrer.
La classe est dissipée. Pas les élèves, non, mais les officiels, qui papotent allègrement. L’un de leurs portables sonne. Les gamins hallucinent. Si c’était eux !
A la fin de l’exposé, la ministre, très à l’aise, se lance dans un échange avec les lycéens. Lesquels lui offrent un «arbre de la laïcité» spécialement confectionné pour elle en papier et en carton. En voyant l’œuvre, on se demande tout de suite quelle pièce de son appartement parisien va l’accueillir. Ménard, qui n’avait son nom sur aucune chaise, mais qui en a pris une quand même, a déjà quitté la salle.
9h45. L'exposé sur Jean Moulin préparé par les élèves touche la ministre. Elle demande aux lycéens de chanter le Chant des partisans. Toute la salle se lance. Las! Au bout de quelques couplets, ça hésite, ça s'égare. Tout le monde a oublié les paroles, mais tout le monde est touché par l'instant.
10h15. Petite conférence de presse dans la cour du lycée Jean-Moulin. La petite dizaine de journalistes présents n'ont tous qu'une seule question à poser à Najat Vallaud-Belkacem : que pense-t-elle du renoncement de François Hollande ? La ministre reprend prudemment les termes que le président a lui-même prononcés la veille au soir pour expliquer son choix. Et la ministre d'ajouter : «C'est une décision inédite, digne d'un homme d'Etat, qu'il prend dans l'intérêt du pays. Oui je suis triste, mais je lui apporte un hommage très appuyé et je respecte son choix. Il est à présent de notre responsabilité que la primaire de la gauche s'organise dans les meilleures conditions.» Quel projet compte-t-elle soutenir ? «Celui qui s'inscrira dans la continuité de l'action présidentielle. Notamment en matière éducative». Etait-elle au courant ? «Il avait gardé sa décision pour lui et il l'a prise en conscience, sans pression.» On n'en saura pas plus. En tout cas pour l'instant.
11h30. Arrivée du cortège officiel dans un centre de soins universitaire à Montpellier (Hérault). Pour être à l'heure, tous les feux de signalisation ont été méticuleusement grillés.
Traversée du hall au pas de course. Regard éberlué des étudiants qui voient passer la ministre escortée par une armée de costume-cravate et de talons aiguilles (enfin, pas tant que ça, de talons aiguilles).
Dans ce centre de soins, depuis la rentrée 2016, les étudiants bénéficient d’un parcours de santé privilégié, adapté à leurs besoins, pris en charge par l’Assurance maladie. Environ 500 jeunes ont déjà consulté un médecin ici. Dans un bureau grand comme un mouchoir de poche et encombré d’officiels, la ministre interroge un médecin qui travaille ici deux jours par semaine. Elle l’interroge sur son activité, s’inquiète pour ses conditions d’exercice. Mais il est déjà temps de partir.
12h00. Najat Vallaud-Belkacem doit à présent inaugurer des logements étudiants dans un nouveau site baptisé La Colombière 2. Depuis potron-minet, le préfet, la rectrice, le président du Conseil départemental n'ont pas quitté la ministre. Les officiels sur les talons, pressée par tous de faire un dernier selfie, elle est restée souriante, enjouée. Toujours dans l'empathie. Comme avec Youssef, 23 ans, casquette vissée sur la tête : l'étudiant travaillait tranquillement dans une petite pièce du Crous avant d'être soudainement noyé sous les élus, les journalistes, les photographes. La ministre le rassure et l'interroge gentiment. Lui répond qu'il est en troisième année de neurosciences et souligne tous les avantages qu'il trouve à poursuivre des études longues. Elle sourit, l'encourage. Une seconde plus tard, la pièce est à nouveau vide.
13h15. Quelques minutes en aparté avec la ministre… Najat Vallaud-Belkacem a appris seulement dix minutes avant l'annonce officielle, «par son entourage», que François Hollande n'allait pas se présenter à la présidentielle. «Depuis quelque temps déjà les échanges étaient nombreux entre lui et le cercle proche dont je fais partie, raconte la ministre. Il hésitait, je le sentais, sa décision n'était pas encore fixée. Et au bout d'un temps, j'ai perçu qu'il avait été chercher la réponse au fond de lui-même, une réponse définitive.» Bien que proche du président, Najat Vallaud-Belkacem n'a donc pas été avertie avant les Français. Ou si peu. «Je pense qu'une fois qu'il a fait son choix, il a voulu aller vite, pour que personne ne tente de le dissuader. Et il a aussi fait en sorte que les Français soient les premiers à apprendre cette décision.» La Ministre répète qu'elle est triste. Qu'elle regrettera la «probité incomparable», la «force de caractère» et la dignité du Président.
14h30. Dernière étape du déplacement de Najat Vallaud-Belkacem dans l'Hérault. At last, but not least : la ministre de l'Education a rendez-vous au collège Las Cazes, un établissement labellisé Réseau d'éducation prioritaire renforcé, situé près du quartier populaire du Petit-Bard à Montpellier. Ce collège souffre depuis longtemps d'un cruel manque de mixité, dans un contexte que Libération a décrit par le menu en octobre 2015.
Si la ministre a choisi de venir ici, c’est avant tout parce que Las Cazes fait partie des territoires pilotes sélectionnés par le ministère de l’Education. Des territoires sur lesquels, depuis un an, sont expérimentées de nouvelles stratégies visant à réintroduire de la mixité dans les collèges.
L'arrivée de la ministre et de son cortège entraîne une effervescence à peine descriptible. Les gamins s'agglutinent autour d'elle tandis qu'elle dévoile la plaque qui rebaptise le collège : Las Cazes s'appelle désormais Simone-Veil. Un nouveau nom pour un nouveau départ, une nouvelle identité qui doit permettre d'effacer l'image du «collège ghetto». «On a su il y a seulement une semaine que la ministre venait. Il a fallu tout organiser en urgence et aussi expliquer aux élèves qui était Simone Veil, glisse une prof. Mais ça va, ça s'est bien passé.»
Au micro, Najat Vallaud-Belkacem dit à tous sa «joie d'être là», rappelle le chemin parcouru pour cet établissement, affirme qu'il n'y a «aucun perdant à la mixité scolaire». A l'issue des discours, autour d'une table ronde, des parents d'élèves la remercient pour les moyens que l'Etat a mis ici. Il ne manque qu'une seule pièce au tableau : le collectif des mères du Petit-Bard, qui lui aussi avait été invité à partager avec la ministre, brille en effet par son absence.
Ces femmes qui, depuis un an et demi, réclament davantage de mixité dans les écoles de leur quartier, ont fait savoir dans la matinée qu'elles ne viendraient pas. Extrait de leur communiqué : «Nous refusons de servir de caution et que le ministère fasse de la communication sur notre dos, nous n'avons a aucun moment été concertés sur toutes les dispositions prises pour le collège par les instances locales, nous avons mis en lumière le summum de la ségrégation scolaire dans cet établissement et nous n'aurions même pas été invités si nous n'avions pas demandé une audience à la ministre.»
Avertie dès midi de cette situation ennuyeuse, la ministre a trouvé la parade plus tôt dans la journée. Ecourtant un peu son déjeuner, elle a reçu cinq représentantes de ces mères du Petit Bard avant de partir à Las Cazes. La rencontre a eu lieu à «huis clos», en compagnie du préfet et de la rectrice. A la sortie de cet entretien, dont on ne saura rien, la ministre s’autorisait à en griller une petite.
16h00. Le cortège ministériel repart en trombe vers l'aéroport de Montpellier tandis que quelques VIP s'attardent au buffet de Las Cazes : ce n'est pas tous les jours qu'on vient dans cet établissement, encore moins pour y manger des petits fours. Quant aux gamins, ils vont tous raconter la même chose ce soir, en rentrant chez eux : dans la cour de l'école, cet après-midi, il y avait un président de département, une rectrice, des députés, un préfet en uniforme, des journalistes… et même une ministre.