Ce qu'on tourne comme pages depuis quinze jours… Nicolas Sarkozy le soir du 20 novembre, Alain Juppé une semaine plus tard. Et jeudi, François Hollande qui renonce à briguer un second mandat. A chaque fois des discours, devant des partisans éplorés ou seul sur fond bleu à l'Elysée. Des discours pas très bien dits, sans doute écrits un peu à la va-vite (c'est théorique mais on se dit que ça ne se prépare pas, un discours d'adieu), un bilan «gorge nouée» pour Hollande, un testament «sanglot étouffé» chez Juppé.
«Je m'apprête à redevenir un Français parmi les Français», promettait (en croisant les doigts) Sarkozy, le 6 mai 2012 à La Mutualité. Le même, d'une voix apaisée, loin d'un coup de la clameur du batteur d'estrade, déclarait, une fois éliminé de la primaire: «Il est temps pour moi d'aborder une vie avec plus de passion privée et moins de passion publique […] Bonne chance à la France. Français je suis, Français je reste.» «Je suis conscient des risques que ferait courir une démarche qui ne rassemblerait pas largement autour d'elle», a reconnu François Hollande. «J'ai donné quarante ans de ma vie au service de la France et cela m'a apporté de grands bonheurs et quelques peines», s'est souvenu Juppé dimanche.
Haie d'honneur pour les déchus
Des paroles qui marquent et qui restent pour des sorties classes, élégantes. Ces candidats malheureux ou ce président défait font le coup du perdant magnifique. Et il faut avouer que ça marche. A chaque fois, c'est une haie d'honneur qui attend ces déchus - et quelques larmes de crocodile aussi… «Digne», «courageux», «lucide», a-t-on entendu après le renoncement du Président. Et à propos de son prédécesseur, c'est cette conclusion en forme de boutade qui a tourné : «au fond c'est quand Sarkozy part qu'il fait ses meilleurs discours.» Lui qui a tiré deux fois sa révérence. Grandis dans la déroute, anoblis par le forfait, une fois que tout est fini.
On a affaire à des situations très différentes. Deux s'inclinent, l'autre renonce: deux ont été battus dans les urnes, le dernier a «décidé de ne pas être candidat» - mais au fond avait il le choix? -. Et puis il y a celui qui a été, celui qui a longtemps cru pouvoir devenir, celui qui est encore un peu. Mais pour la première fois depuis longtemps, on écoute vraiment ce qu'ils ont à dire. Avec moins de défiance. Comme si d'un coup, on avait un peu oublié. Ce n'est plus une question de posture, de programme ou de bilan, même plus vraiment une affaire de droite ou de gauche. Il y a une émotion, une acceptation qu'on voit rarement, une hauteur soudain, oserait-on dire presque une sagesse. «Un homme d'Etat», a-t-on dit des trois perdants, chacun leur tour. Comme s'il ne fallait plus être homme politique pour laisser voir une part d'homme d'Etat. Que la popularité vienne miraculeusement à ceux qui ont pris du champ, ce n'est pas nouveau. Ce grand coup de balai devrait cela dit alerter ceux qui viennent occuper l'espace laissé libre.
Mais ressaisissons-nous ! Ces discours d'adieu sont-ils un moment de sincérité… Ou un exercice pour la postérité ? Cela ne retire rien au courage, ni à la dignité, mais on est là - pas seulement, mais aussi - pour assister au dernier épisode de leur storytelling. Fichu pour foutu, s'il n'est plus question de faire envie, autant tenter de faire regretter, de se racheter. Puisqu'il faut prendre la porte, autant sortir par la grande. Mais pas d'inventaire, pas de remise en question, pas le moment. A peine un «regret» de la part de Hollande, celui d'avoir voulu la déchéance de nationalité. L'enjeu n'est plus électoral mais c'est un enjeu d'image ou l'esquisse d'un geste «pour l'histoire». La politique s'arrête-t-elle jamais?