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Libération
Éditorial

Pions

publié le 4 décembre 2016 à 20h57

Quand on se place sur sa droite, peut-on séduire la gauche ? Quand on a déclaré qu'elle était séparée en deux courants «irréconciliables», peut-on la réunifier ? C'est le défi qui est lancé à Manuel Valls par une situation politique inédite, dans laquelle le camp progressiste risque la déroute face à une droite conquérante et une extrême droite qui attend son heure en tapinois. Personne ne doute que le Premier ministre soit candidat, lui qui a poussé ses pions très loin pour s'emparer du rôle, fût-ce en contribuant sans ménagement au renoncement d'un président qu'il avait promis de servir jusqu'au bout. Valls possède a priori les qualités de l'emploi : l'autorité qu'il cultive avec vigilance, le talent rhétorique, le sens de la décision et l'expérience du gouvernement. Nerveux, bref, coupant, le sourcil froncé et le menton téméraire, il campe un personnage de leader progressiste actif et décidé, parfois colérique, à mi-chemin entre Valérian et Joe Dalton. Seulement voilà, dans cette élection où le premier tour sera décisif, il faut rassembler la gauche, faute de quoi elle sera absente du scrutin final. En défendant dans la primaire de 2011 une ligne clairement sociale-libérale, en proposant d'abandonner le vocable «socialiste» dans le nom du parti, en prônant sans relâche une politique économique favorable à l'entreprise, Valls a esquissé une doctrine qui l'écarte du centre de gravité culturel et social de la gauche. Il pariait sur un blairisme à la française. Mais le réalisme provocant de l'ex-Premier ministre britannique a fait long feu face aux duretés de la mondialisation. Il faut aujourd'hui un projet qui se distingue nettement de l'orthodoxie en vigueur dans les classes dirigeantes. C'est-à-dire, après le redressement entamé par François Hollande, prévoir les réformes audacieuses et sociales qui dessineront une société plus humaine. Valls aime se référer à Clemenceau. Mémoire pour mémoire, il a autant besoin de Blum et de Jaurès.