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Libération

Les désillusions d’une éphémère recrue frontiste

En 2014, Mohamed, 14 ans, était une vitrine rêvée pour un FN en quête de dédiabolisation : jeune, éloquent, fils d’immigrés. Deux ans après, il revient sur son ascension et sa chute, avec le sentiment d’avoir été «trompé».
publié le 5 décembre 2016 à 20h36

Il y a deux ans, Mohamed, nouveau visage jeune mijoté par le Rassemblement bleu Marine (RBM) pour être fin prêt en 2017, se cramait les ailes en direct sur le plateau de France 5. Ainsi mourrait sa courte mais fulgurante ascension au Front. Il en était pourtant le porte-drapeau parfait : enfant d'immigrés algériens d'un quartier populaire de Gonesse (Val-d'Oise) et doté d'une éloquence inhabituelle pour son âge. Un produit d'appel sur mesure pour un FN en pleine campagne de dédiabolisation. Mais en novembre 2014, devant plus d'un million de téléspectateurs, Anne-Sophie Lapix taille en pièces le militant de 14 ans. Déjà en proie au doute sur son engagement, la piètre performance de l'adolescent signe la fin de son rôle de figurant au sein du parti. Désormais lycéen et de retour du Front, Mohamed ne touche plus à la politique. Mi-révolté, mi-accablé, il raconte ce qu'il appelle son «endoctrinement».

«Perroquet». En décembre 2013, il est encore gosse et nouvellement élu au conseil municipal des jeunes de Gonesse. La campagne municipale commence doucement. Karim Ouchikh, actuel président du mouvement libéral et identitaire Siel, se présente sur une liste Bleu Marine soutenue par le FN. Un personnage onctueux, genre oncle bienveillant. Mohamed le rencontre autour d'un café. «Une semaine plus tard, je distribuais des tracts pour lui devant le Leclerc. Deux semaines après, j'étais face aux caméras de Canal +. En janvier, Marine Le Pen me citait dans une vidéo lors de ses vœux. J'avais même pas encore ma carte et Marine parlait déjà de moi !» Sur les raisons de cet engouement, l'adolescent est confus. Ses parents ne votent pas FN, ses voisins non plus. «Tout est allé très vite. Je n'ai rien compris.» Il cite, pêle-mêle, sa passion naissante mais encore un peu naïve pour la politique, son quartier violent, l'écran de fumée du programme que proposait Karim Ouchikh et peut-être aussi un peu l'impression de devenir quelqu'un. Il n'embarque pas seul : Julien, un ami dont la famille est d'origine antillaise, également élu au conseil municipal des jeunes et excédé par les «méthodes monarchiques du maire PS en place», se retrouve lui aussi à tracter. La paire se retrouve sur les marchés des villes voisines pour les Européennes, avant d'atterrir à Fréjus. On leur vend la javellisation générationnelle du parti : le racisme, c'était avant. Et surtout, ne pas oublier de le préciser en tractant. Convaincus, les deux ados militent d'arrache-pied. «On devait dire que le parti n'était pas ce qu'on pensait. "Regardez, ils ne sont pas racistes puisqu'on est là, nous !" C'était le message à faire passer», raconte Mohamed. D'un timbre hésitant, il raconte à la presse que le halal va à l'encontre des valeurs de la terre catholique que représente la France, qu'il faut rétablir la peine de mort et retourner au franc. «Je recrachais ce que voulaient entendre les médias, ce que voulait entendre le FN. Un parfait perroquet.»

Aujourd'hui en première année de sociologie, Julien a du mal à assumer les propos qu'il tenait à l'époque. «J'ai l'impression que ce n'est pas moi qui parlais. Je crois que j'étais en pleine crise d'ado politique.» Il reprend : «On a été envoyés se faire bouffer par les journalistes. "Moi, Mohamed, 14 ans, militant au FN", ça fait un joli titre de presse. Avec nos photos, ça l'était encore plus. Le contenu, en fait, ils s'en fichaient.» Mais le FN échoue aux municipales et ne gagne pas la mairie. Karim Ouchikh ne revient plus trop à Gonesse. Julien, «réalisant qu'[ils ont] été instrumentalisés», en profite pour s'éloigner du mouvement et se rapprocher de Rama Yade. Mais Mohamed, soutenu par les cadors du parti, voit les choses en grand.

«Cataclysme». En septembre 2014, propulsé par Florian Philippot, il lance le collectif Racine-Lycée et devient le plus jeune militant à accéder à de telles responsabilités au sein du RBM. Le collectif est lancé en grande pompe à Fréjus (Var), devant une Marine Le Pen et un Florian Philippot radieux. Mais les insultes et menaces de mort qui pleuvaient déjà sur le profil Twitter de Mohamed se multiplient. Son père est agressé en se rendant à la mosquée. Le jeune homme se sent abandonné par le parti, qui, «à part un tweet de soutien de la part de Philippot», ne fait rien. Peu à peu, il réalise que «le racisme qu'on [lui] avait juré disparu était en fait bel et bien là, au sein du parti». Il se souvient de cette affaire de militants FN qui brûlaient des voitures la nuit pour attiser le sentiment d'insécurité. Il se souvient aussi des propos tenus par un cadre du parti lorsqu'il avait appris qu'il rejoignait les rangs Bleu Marine : «Si c'est pour nous ramener des Yassine et des Mohamed, on n'en veut pas !» Et puis, il y a le «cataclysme Lapix» où il se «plante misérablement» en direct. Un quart d'heure plus tôt, il avait reçu l'appel d'un Florian Philippot affolé de ne pas avoir été prévenu de son apparition télévisée. «Il m'a interdit de parler d'à peu près tout. Je me suis retrouvé complètement bloqué.»

Après l'émission, Mohamed décide enfin de couper les ponts. Discrètement, sans trop faire de vagues.«On a l'habitude des gens qui n'ont pas eu ce qu'ils voulaient et qui sont partis en disant avoir été victimes de racisme», explique simplement Florian Philippot. Malgré sa volonté de «reprendre à zéro», Mohamed s'est résolu à ne pas nettoyer les réseaux sociaux des traces de son passage au FN. «Ça restera dans ma vie. Même si j'ai été trompé, ce furent mes tweets, mes propos. Ça, ça ne s'efface pas.»