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A la barre

Trois ans ferme pour Jérôme Cahuzac et une «faute pénale d'une exceptionnelle gravité»

Le tribunal correctionnel, chargé de juger l'ex-ministre du Budget pour blanchiment de fraude fiscale, a souhaité lui infliger une «incarcération effective» au regard de sa «perte totale de repère» et d'une «dissimulation fiscale sur près de vingt ans».
Jérôme Cahuzac, lors de l'ouverture du procès le 5 septembre. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 8 décembre 2016 à 14h59
(mis à jour le 8 décembre 2016 à 15h00)

Jérôme Cahuzac se prend la tête entre les mains. Jeudi 11h30, le président du tribunal, Peimane Galeh-Marzban, vient de lui signifier sa peine, trois ans ferme, après un long résumé oral des éléments à charge. La même qu'avait réclamé le parquet au motif qu'une «sanction plus légère serait la marque de l'impunité pour un mensonge d'Etat». Le tribunal y ajoute une amende de 375000 euros et une peine de cinq ans d'inéligibilité, tout en rappellant que le ministre déchu, contraint de démissionner de Bercy au printemps 2013 après la révélation de son compte en Suisse (qui sera ensuite exfiltré à Singapour via des coquilles offshore immatriculées aux Seychelles), n'est pas poursuivi pour mensonge. Mais insiste lui aussi sur ses anciennes responsabilités gouvernementales pour alourdir la barque: «Vous incarniez la politique budgétaire de la France, vous étiez le dépositaire et garant de la lutte contre l'évasion fiscale.» Pour mieux lui assener cette leçon de morale: sa «faute pénale d'une exceptionnelle gravité» relèverait d'une «perte totale des repères», «destructrice du lien social» et du consentement collectif à l'impôt. Refaisant le film de son compte occulte ouvert en 1992, «une dissimulation sur près de vingt ans», le jugement relève perfidement que «son opacité est allée croissante avec l'évolution de ses responsabilités politiques»: président de la commission des Finances à l'Assemblée en 2010, ministre en 2012.

«Un foyer enraciné dans la fraude»

Le tribunal évacue à sa manière la polémique sur l'origine de la cagnotte, Jérôme Cahuzac ayant prétendu au cours du procès qu'il s'agirait d'un antique reliquat du trésor de guerre des rocardiens, bien plus que le paiement occulte de clients de son cabinet d'implants capillaires. «Nous ne disposons d'aucun élément tangible permettant de valider ou pas ces allégations.» Peu importe à ses yeux: «L'origine des fonds est indifférente, puisque Jérôme Cahuzac se les est ultérieurement appropriés.» Avant de lui glisser une utlime vacherie, pour avoir «injustement altéré la mémoire de Michel Rocard et jeté le discrédit sur des personnes actuellement au pouvoir»."

Patricia Cahuzac a pour sa part été condamnée à deux ans de prison ferme. C'est un peu moins que son futur-ex mari (leur procédure de divorce est toujours en cours), car elle n'était pas ministre, mais néanmoins praticienne chevronnée du paiement occulte par ses patients au crâne dégarni: «Une banalisation de la fraude fiscale érigée en mode de vie.» Le compte offshore de Madame culminait à 3,5 millions d'euros, quand celui de Monsieur plafonnait à 600000. Mais le jugement évoque un «foyer enraciné dans la fraude».

François Reyl, patron de la banque Suisse du même nom, n'a pris qu'un an de prison avec sursis - mais son établissement, également poursuivi en tant que personne morale devra régler une amende de 1,875 million d'euros. Pour «avoir mis tout leur savoir-faire en vue de dissimuler les fonds et brouiller les pistes».

L'avocat de Jérôme Cahuzac, Jean Veil, a rapidement annoncé son intention de faire appel, suspendant de facto l'exécution du jugement. Histoire de réduire ou tempérer sa peine de prison ferme, le tribunal de première instance insistant sur le fait qu'elle serait «sans aménagement» possible.