Ce surnom de Lascaux IV est un peu mystérieux pour le novice, mais il colle à la réalité chronologique : c'est la quatrième fois que l'on peut visiter la grotte. La première édition est bien sûr la grotte d'origine, peinte par quelques Picasso magdaléniens il y a vingt mille ans et découverte en 1940 par un chien. Visitée de façon anarchique les premières années, elle est officiellement ouverte au public en 1948 avec des travaux d'aménagement dévastateurs : l'éboulis de l'entrée est dégagé à la pelleteuse, des escaliers et une porte sont posés.
Privée de sa protection naturelle, elle est balayée par les courants d'air et attaquée par les mètres cubes de dioxyde de carbone recrachés par les visiteurs. Les algues et moisissures envahissent les murs ; André Malraux, ministre de la Culture, ferme la grotte en 1963. Les panneaux indiquent des «travaux» provisoires, mais il s'avère que la situation est trop grave : la grotte ne peut pas supporter la fréquentation du grand public. Son propriétaire, le comte de La Rochefoucauld, veut rouvrir la grotte en protégeant simplement les murs avec des vitres. Mais après moult réunions de la commission de sauvegarde et autant de projets à vitres refoulés, La Rochefoucauld finit par vendre Lascaux à l'Etat et la construction d'un fac-similé, 150 mètres plus loin dans une carrière, est lancée. L'Institut géographique national se charge de reproduire les parois ornées, d'après ses relevés stéréo-photogrammétriques effectués dans la grotte. «Lascaux II» ouvre en 1983.
A lire aussi Lascaux IV, une nouvelle grotte plus nature
Champignons noirs
«Personne n'y croyait au départ, même ses concepteurs, se souvient Thierry Félix, archéologue. Il n'y avait pas d'affiche, pas de campagne publicitaire. J'étais guide à l'ouverture, le 18 juillet. On était deux. Mais fin juillet, on accueillait déjà 2 000 personnes par jour. Personne n'avait pensé qu'un fac-similé pouvait avoir autant de succès.» Il était évident que cette reproduction partielle, limitée à la «salle des taureaux» et au «diverticule axial», ne suffirait pas… «L'idée de Lascaux IV est née quinze jours après l'ouverture de Lascaux II», assure Thierry Félix. Des reproductions supplémentaires de la grotte sont commandées dès 2003 et confiées cette fois à l'Atelier des fac-similés du Périgord (AFSP) : la grande vache noire de la «nef», la scène humaine dans le «puits»… Ces 120 mètres carrés de fac-similés ont d'abord été exposés à Bordeaux en 2012. Puis «Lascaux révélé» est devenue une expo itinérante, passant de Chicago à Montréal, Paris à Tokyo, où elle est actuellement, avant Shanghai l'an prochain. C'est parce qu'on surnomme l'expo «Lascaux III» que le nouveau Centre international de l'art pariétal de Montignac a hérité de «Lascaux IV». L'AFSP est retourné au travail pour produire 900 mètres carrés de coques en résine.
Quant à la grotte originelle, elle est désormais «stable», après un épisode inquiétant de champignons noirs dans les années 2000. Et il s’est avéré que la fréquentation massive de Lascaux II a nui aux sous-sols, avec des infiltrations polluantes depuis le parking dans la forêt. Nommé en 2010 à la tête du conseil scientifique chargé de la conservation, le paléontologue Yves Coppens a décidé de sanctuariser la colline. Seuls quelques véhicules électriques y monteront désormais et Lascaux II restera fréquentée à petites doses pour des visites spéciales (thématiques, peut-être nocturnes) et par les écoles d’art.