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Libération
Portrait

Didier Le Bret, sortir des ombres

L’ex-coordonnateur national du renseignement, compagnon de Mazarine Pingeot, se lance en politique pour le PS.
(Photo Martin Colombet)
publié le 21 décembre 2016 à 17h06

Autant commencer par la fin. Par ce coup de fil reçu quelques jours après l’avoir rencontré. Le timbre victorieux, Didier Le Bret se félicite d’avoir été choisi par les adhérents du Parti socialiste pour la neuvième circonscription des Français de l’étranger, qui couvre l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Les résultats ne sont pas encore totalement dépouillés, mais Le Bret se dit confiant sur sa large victoire, quoi qu’aient pu en dire les persifleurs. La suite sera un peu moins à son avantage. Il finit avec trente voix d’avance (25 % des suffrages) sur le deuxième, Chokri Boughattas. Un écart insuffisant pour convaincre son opposant de concéder tranquillement sa défaite. Ses anciens adversaires l’ont amère : ce quasi-inconnu parachuté de Paris, membre très récent du PS, a raflé une circonscription favorable à la gauche. Pire, c’est l’Elysée qui l’enverrait. Pire du pire, c’est grâce au nom de sa compagne qu’il en serait arrivé là.

Depuis 2014, la presse people présente ce futur candidat aux législatives comme le «mari de». «Un jour, peut-être qu'on m'appellera Mazarin», plaisante, avec ce bon mot qu'on devine un peu usé, celui qui est donc le compagnon de la fille de François Mitterrand. «Les militants parlent surtout de Mazarine. Il a gagné quarante de ses voix uniquement sur son nom», s'agace le malheureux Chokri Boughattas, pas vraiment décidé à se rallier au vainqueur. Le Bret partage bien la vie de Mazarine Pingeot. Tous les deux habitent le XIe arrondissement de Paris, dans un bel appart-loft-duplex rempli de livres, d'objets d'art et d'enfants (les trois de Mazarine, les siens sont déjà adultes). L'endroit est moins nid perché que moulin ouvert, plus convivial que guindé, où l'on voit bien s'attabler une compagnie de bons copains. Le Bret nous a spontanément proposé d'y venir. On n'était pas les premiers. Prévenant et soucieux de son image, il nous avertit que le photographe d'un autre journal l'a portraituré dans son salon.

Quand on a essayé de le joindre, il a répondu par l'affirmative en moins de vingt-quatre heures. Notre précédente demande, un an plus tôt, n'avait pas reçu un tel accueil. A l'époque, Didier Le Bret occupait un poste bien moins exposé : coordonnateur national du renseignement. Pour faire court, c'est une sorte de conseiller du Président sur cette matière un peu spéciale, qui «fait beaucoup fantasmer», relève Le Bret. Le diplomate quinquagénaire se pousse du col («sur le papier, vous êtes le patron des services, vous convoquez les directeurs dans votre bureau») tout en décrivant un job banalement administratif («là où un conseil de renseignement avait lieu tous les dix-huit ou vingt-quatre mois avant mon arrivée, j'en organisais un tous les trimestres»). Arrivé en juin 2015, il a connu l'après-Charlie, puis la période du 13 Novembre. Une année particulièrement sombre. «Nous avons tout eu», racontait-il au printemps devant la commission d'enquête parlementaire sur les attentats, «toute la typologie [d'attaques] décrite dans la littérature relative au terrorisme». Au début de l'été, quand sa reconversion en politique a fuité, d'abord dans une lettre confidentielle sur le renseignement puis dans la presse généraliste, la droite lui est tombée dessus. Alors que la menace terroriste n'avait jamais été si élevée, «monsieur renseignement» cherchait à se recaser…

Déserteur, Le Bret ? «On me reproche d'être parti trop tôt, mais aussi trop tard, et d'avoir donc utilisé les deniers de l'Etat pour ma campagne.» Des critiques sont aussi venues de son camp, y compris de la base militante, qui n'avait jamais entendu parler de ce haut fonctionnaire parisien. Il réplique avec un bingo : vingt-cinq ans de politique étrangère, des séjours dans la région et des origines liées au Maghreb. Sa mère, employée de banque, est née à Oran dans une famille juive séfarade, quand son père, architecte, a vu le jour à Saigon, au Vietnam. Lui-même était conseiller culturel à l'ambassade de France au Sénégal entre 2005 et 2007.

Sauf que, pour un candidat socialiste, sa biographie se complique ensuite. Sarkozy élu à l'Elysée, Kouchner lui propose de rejoindre le cabinet d'un autre ministre d'ouverture, celui de Jean-Marie Bockel, chargé de la Coopération. Pas dépourvu d'admiration pour le French Doctor, ni d'ambition, Le Bret accepte. Et reste malgré le pathétique discours néocolonial de Dakar, rédigé par Henri Guaino. «C'était l'abomination de la désolation», constate commodément Le Bret presque dix ans après. Il ne partira pas plus quand le secrétariat d'Etat passera de Bockel, viré pour ses propos anti-Françafrique, à Alain Joyandet, droitard pur jus qui trouve grâce à ses yeux : «Je n'ai pas rencontré le fou furieux libéral qu'on décrivait.» Son escapade ministérielle prend fin en 2009, quand les réseaux Foccart, Bourgi, et «les relations avec la Libye» commencent à «monter». Un prestigieux poste sanctionne l'aventure : ambassadeur en Haïti. Le suivant, directeur du centre de crise du ministère des Affaires étrangères, est du même niveau.

Même en cas de désaccord, Le Bret n'a pas l'air du genre à renverser la table. Une carrière au Quai d'Orsay, dont quelques années dans des institutions multilatérales, est plutôt de nature à arrondir une personnalité. Lui qui se dit «sang-mêlé», qui a œuvré pour que les Affaires étrangères s'ouvrent aux enfants d'immigrés, n'a pas un mot dur contre l'actuel président de la République, qui a sorti d'un placard sordide la déchéance de nationalité. Impossible pour Le Bret de défendre cette mesure, surtout vu ses ambitions politiques dans une circonscription très binationale. Mais sa fidélité à Hollande, sincère, le corsète. Il résout la dissonance en mettant l'épisode sur le dos «des excités qui, autour de Valls, veulent toujours taper plus fort que la droite». Il en profite pour tacler ceux, surtout le premier d'entre eux, qui prétendent qu'«expliquer, c'est excuser».

A la primaire socialiste, son vote ira logiquement à l'héritier de Hollande, Vincent Peillon. Monsieur Mazarine Pingeot est plutôt intello. Diplômé de lettres et de Sciences-Po à Lyon, il animait un petit groupe de réflexion de gauche lorsqu'il a rejoint l'Elysée. En bon diplomate - c'est encore son salaire du Quai qui le fait vivre -, il peut enchaîner deux minutes bien senties sur la psyché de la République islamique d'Iran et quatre sur l'exception culturelle française. Quelques réflexions sont réunies dans un essai à paraître en janvier, qui place une citation du Collectif catastrophe en exergue : «Nous avons grandi dans une impasse.» Le Bret se rêve en escabeau.

25 mars 1963 Naissance à Paris (XVIIIe).

1991 Concours du Quai d'Orsay.

2007 Intègre le cabinet Bockel.

2014 Officialise sa relation avec Mazarine Pingeot.

2015 Devient «monsieur renseignement» de l'Elysée.

2017 Candidat PS aux législatives.