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Une mesure à la loupe

Vous reprendrez bien une dose de proportionnelle?

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Plusieurs candidats à la primaire de la gauche ou à la présidentielle ont proposé d’introduire une part de proportionnelle dans la représentation nationale. Une idée loin d’être neuve.
La proportionnelle permet d'avoir une Assemblée nationale plus représentative de la diversité des opinions. Mais elle est aussi accusée de favoriser l'instabilité politique. (Photo JOEL SAGET. AFP)
publié le 21 décembre 2016 à 12h39

Les propositions, entre autres, d'Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon sont l'occasion de réviser nos connaissances sur le scrutin proportionnel.

Qu’est-ce que la proportionnelle ?

Le scrutin proportionnel est un mode de scrutin à la philosophie assez simple : il s'agit d'élire des représentants qui reflètent la diversité des opinions des votants. A l'inverse du scrutin majoritaire, que l'on utilise pour la présidentielle par exemple, il est censé permettre à la plus grande part des groupes d'électeurs d'être représentés, même en faible proportion, à partir du moment où le parti ou la liste franchit le seuil minimal requis (il faut en règle générale en France obtenir au minimum 5% des suffrages pour être «qualifié»).

En bref, l'avantage du scrutin majoritaire, c'est qu'on ne va que dans une seule direction, quitte à ce que celle-ci déplaise à une partie des électeurs, et celui du scrutin proportionnel, c'est que toutes les opinions aient voix au chapitre – dans la mesure de leur poids dans l'électorat. C'est d'ailleurs ce que lui reprochait le constitutionnaliste Maurice Duverger, qui estimait qu'un tel système, en multipliant les partis représentés, favorisait l'instabilité politique.

Il existe deux types de proportionnelle : le scrutin à liste bloquée, où l'électeur vote pour l'intégralité d'une liste de personnes (c'est le cas, depuis 2014, aux municipales dans les villes d'au moins 1 000 habitants), ou le scrutin préférentiel, où l'électeur peut rayer un ou plusieurs noms de la liste (c'est le cas aux élections professionnelles, par exemple).

Comment se calcule la répartition des sièges ?

Contrairement au scrutin majoritaire, où on sait immédiatement qui est élu, il faut avec la proportionnelle répartir les sièges. Il existe plusieurs modes de calcul : la méthode du quotient, la méthode du plus fort reste, la méthode de la plus forte moyenne… La méthode du quotient est la suivante : on détermine combien de voix il faut pour obtenir un siège. C'est ce qu'on appelle le quotient électoral. On comptabilise le nombre de voix obtenu par chaque liste, qu'on divise par le quotient électoral. Il faut ensuite répartir les restes. On peut le faire avec la méthode du plus fort reste : on déduit de chaque liste les voix ayant déjà donné un siège, et les listes qui ont le plus de voix restantes obtiennent les sièges encore à pouvoir.

On peut également le faire avec celle de la plus forte moyenne : on fait le rapport entre le nombre de sièges déjà obtenus par une liste, additionnés d'un siège fictif (qui représente le siège à attribuer), et les voix restantes. Le parti ou la liste obtenant le plus gros rapport obtient le siège. Les élections de nos représentants au Parlement européen se font ainsi à la proportionnelle, calculée selon la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ou vote préférentiel, alors qu'en Italie ou en Allemagne, on préfère la méthode du plus fort reste, pour ce même scrutin. On retrouve aussi la règle de la plus forte moyenne aux Sénatoriales, dans les départements ayant au moins trois représentants à la chambre haute. Après avoir déterminé le nombre de sièges revenant à chaque liste ou parti, il faut choisir qui les occupera. En général, précise le ministère de l'Intérieur sur son site, cela se fait dans l'ordre inscrit sur la liste (voilà pourquoi la dernière personne sur une liste a moins de chances de siéger que la première, même si elles participent à la même campagne).

Qui propose d’en introduire une dose à l’Assemblée nationale ?

Chez les candidats à la primaire socialiste et écologiste, cette idée est plutôt populaire. Arnaud Montebourg l'a encore dit samedi au Parisien : «Je propose l'instauration de l'élection d'une fraction de l'Assemblée nationale à la proportionnelle - un dixième ou peut-être 20%, on en débattra […] ce qui permettrait à tous les partis politiques d'être représentés à l'Assemblée nationale».

Même idée chez Benoît Hamon, qui prône «une dose» de proportionnelle aux élections législatives. François de Rugy y est favorable aussi ; il avait d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens en juillet 2015. Idem pour Jean-Luc Bennahmias, qui disait déjà en 2012 : «Elle est indispensable. Il est temps de la mettre en place pour que l'ensemble des formations politiques représentatives dans le pays (plus de 5 %) soient présentes à l'Assemblée nationale.» Vincent Peillon y est plutôt favorable également, tout comme Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron va même plus loin, puisqu'il envisage de l'introduire à l'Assemblée et de l'étendre au Sénat (1). Marine Le Pen veut-elle l'instaurer pour toutes les élections – ce qui n'étonne pas, puisque ce mode de scrutin est favorable aux partis populistes.

Au contraire, Manuel Valls, si l'on s'en tient à ses propos de 2014, n'y semble guère favorable, arguant qu'une proportionnelle intégrale ferait entrer trop de députés FN au palais Bourbon et qu'une proportionnelle partielle (que proposent Montebourg et Hamon) serait complexe à mettre en place. Il faudrait en effet redécouper les circonscriptions mais cela n'aurait rien d'insurmontable : d'ailleurs, cela a un nom, celui de système mixte. Il n'en est pas question pour François Fillon non plus, qui l'avait déjà refusée sous prétexte qu'elle aboutirait à «un Parlement sans majorité».

Quand est apparu le scrutin proportionnel ?

«La représentation proportionnelle est la fille des partis et de la statistique», écrit le politologue au CNRS Pierre Martin dans la Revue politique et parlementaire. Ce mode de scrutin apparaît à la fin du XIXe siècle, où «l'on était passé d'assemblées de notables élus sur leur personnalité à des forces politiques s'affrontant sur des programmes». «Comme la proportionnelle était un mode de scrutin nouveau en concurrence avec les systèmes "majoritaires" plurinominaux ou uninominaux en place, explique encore le chercheur, ses partisans étaient presque toujours des réformateurs insatisfaits des systèmes politiques en place qui prêtaient à la proportionnelle, avec plus ou moins de sincérité, la capacité de résoudre tous les maux ordinaires de la politique dont la médiocrité du personnel politique et sa corruption.» En France, l'Assemblée nationale est élue à la proportionnelle sous la IIIe République, durant près de dix ans, de 1919 à 1928, puis sous la IVe République (1946-1958).

C'est à cette période que ce mode de scrutin acquiert une vilaine réputation d'instabilité… mais aussi une aura de justice. Lors d'un discours à Tours en 1920, rappelle ainsi Olivier Ihl, professeur à l'Institut d'études politiques de Grenoble, Léon Blum avait ainsi déclaré que «l'importance de la représentation proportionnelle n'était pas une importance politique; c'était quelque chose de bien plus haut : c'était une importance morale. La représentation proportionnelle était  le gage matériel de la liberté de pensée.»

Disparue avec la Ve République (1958), la proportionnelle ne sera réintroduite à l'Assemblée qu'en 1986, sous François Mitterrand dont le programme prévoyait sa mise en œuvre intégrale. Résultat : la première cohabitation de l'histoire de la Ve et 35 députés FN à l'Assemblée nationale. C'est d'ailleurs grâce à un certain article 49.3 de la Constitution que le nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, rétablira dans la foulée le scrutin majoritaire, rappelle Le Figaro.

Cette proposition est-elle récurrente ?

Oui. L'idée de réintroduire, au moins partiellement, la proportionnelle revient régulièrement : en septembre dernier, le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone et l'historien Michel Winock l'ont par exemple évoquée, proposant d'élire jusqu'à la moitié des députés par ce mode de scrutin, parmi leurs «17 propositions transpartisanes [pour] revitaliser nos institutions en oxygénant notre démocratie». C'était d'ailleurs également dans le programme de François Hollande en 2012 (engagement 48), qui a dû y renoncer faute d'être en mesure de rassembler une majorité sur la question.

Et si son ancien Premier ministre y est aujourd'hui opposé, Nicolas Sarkozy aussi en avait esquissé l'idée lors de sa campagne de 2007, rappelle Le Monde, qui évoque une idée «lancée lors d'un meeting d'entre-deux tours, [qui] visait sans doute à séduire l'électorat FN ou centriste». Et la journaliste de préciser : «Elle n'a jamais été mise en pratique durant son mandat. Ce qui n'a pas empêché Nicolas Sarkozy de la ressortir des tiroirs en 2012.»

Est-elle appliquée ailleurs ?

Si les Etats-Unis ou l'Angleterre sont, comme à la France, plutôt partisans de scrutin majoritaire, lequel renforce le bipartisme, d'autres pays comme l'Allemagne, ou les pays d'Europe du Nord, où la culture du consensus est plus forte, votent pour certaines élections à la proportionnelle. Le Bundestag allemand est ainsi élu pour moitié à la proportionnelle (l'autre moitié l'est à la majorité et doit représenter les territoires). En Belgique, on vote également pour la Chambre des représentants de façon proportionnelle, depuis décembre 1899.

Dix Etats européens ont inscrit le principe de la proportionnelle dans leur Constitution, rappelle Jean-Claude Colliard dans le treizième numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel (2003) : l'Autriche (art. 26), la Belgique (art. 62), le Danemark (art. 31), l'Espagne (art. 68), la Finlande (art. 25), l'Irlande (art. 16), le Luxembourg (art. 51), les Pays-Bas (art. 53), la Suède (ch. III-8) et le Portugal (art. 116 et 155).

(1) Où c'est déjà le cas dans les circonscriptions où sont élus 4 sénateurs et plus.