C'est rodé. C'est la proximité. «Je vais pas faire de grand discours. Y'a pas de tribune, y'a pas de pupitre.» Micro à la main, Xavier Bertrand marche de long en large au milieu du public, dans une salle municipale au bout du village de Noailles (Oise), en ce début décembre. Un homme presque ordinaire, un peu serré dans son costume, sans cravate. Le président LR de la région Hauts-de-France, ex-ministre, ex-député, ex-maire de Saint-Quentin, a prévenu : il sera le «maire de la région». Les réunions publiques, c'est pour être «à portée d'engueulade», répète-t-il partout. Il le dit encore : «Allez, je vais rester poli. Non, je vais pas rester poli. J'avais dit que je faisais une campagne "à portée d'engueulade". J'avais dit : "On fera notre mandat de la même façon. Pas dans un bureau, pas dans un grand hôtel de région à Amiens ou à Lille, mais sur le terrain, et en donnant la parole".» Les réunions ont démarré en octobre, celle-ci est la troisième. Officiellement pour «écouter les gens», et tenter de rendre le machin régional lisible - ce que Daniel Percheron, son prédécesseur socialiste, plus à l'aise avec les militants qu'avec les habitants, ne faisait pas. Mais aussi pour être le VRP de lui-même après un an de règne.
Juste avant sa prise de fonctions, il avait avec une modestie affichée renoncé à (presque) tous ses autres mandats, ainsi qu'à la candidature à la primaire pour 2017. «Je demande à être jugé sur ce que je vais faire à la tête de la région en m'occupant des gens et en m'y consacrant à 100 %», avait-il affirmé en plissant les yeux face à David Pujadas sur France 2. Il avait expliqué que cette campagne, à la rencontre de «la colère des gens», avait été un «coup de poing en pleine figure». «Si je réussis à faire mes preuves, les gens se diront que je mérite peut-être mieux que l'image des politiciens parisiens.»
«Regardez-moi bien»
Il préside une région de 6 millions d'habitants, plus peuplée que le Danemark. «Il a la suite en tête, pronostique le premier adjoint de Martine Aubry à Lille, Pierre de Saintignon (PS), son adversaire malheureux, laminé au premier tour avec 18,12 % des voix. S'il réussit à gérer les Hauts-de-France, ça le remet dans la course à la présidentielle.» Celle d'après.
En attendant, pour fêter sa première année, Xavier Bertrand arpente la salle municipale comme un pro du stand-up, sous le plafond d’où pendent de gros pompons blancs en guise de déco de Noël. Des habitants réclament un lycée près de chez eux, un maire demande des sous pour sa médiathèque, un président de club de foot rêve d’allégements de charges, des motards réclament des routes - qui ne sont pas de compétence régionale - plus sûres.
Dans la salle, des militants et des sympathisants Les Républicains. Un public poli qui applaudit, rit quand Xavier Bertrand plaisante. Sur l'emploi : «Je vous fais pas le coup de l'inversion de la courbe du chômage, ça a déjà été fait.» Sur les aides au transport de 20 euros par mois pour 11 000 automobilistes qui gagnent moins de deux Smic par mois et travaillent à plus de 30 km de chez eux : «J'ai p'têt' pas fait l'ENA, mais j'essaie de faire preuve de bon sens.» Sur une demande de construction de lycée à Chaumont-en-Vexin : «Je vais être radin avec l'argent public. Regardez-moi bien, je mettrai plus 54 millions dans un lycée.» Sur des allégements de charge : «Mon dispositif marche pas terrible. On réfléchit à le faire évoluer.» Il glisse parfois un mot de patois picard. «Je suis plutôt séduit», avoue Jean-Marc, motard, informaticien à la retraite, fils d'un ouvrier immigré italien et d'une secrétaire de Georges Marchais. «Il est pas langue de bois. J'ai jamais entendu un homme politique reconnaître qu'il avait mis en place un truc qui marchait pas. Il fait pas de promesses à tort et à travers. J'ai toujours pensé qu'il y avait des gens bien à droite et à gauche, ça me conforte dans cette idée.»
Xavier Bertrand mise sur des idées faciles à identifier : 20 euros par mois d'aide à la garde d'enfants, 40 voitures bientôt mises à disposition des nouveaux embauchés le temps de leur période d'essai, prime d'apprentissage aux entreprises de 1 000 euros multipliée par trois. Et puis «des écoles d'anglais» dans toute la région, lance-t-il à la réunion publique de l'Oise. Renseignements pris au cabinet, il s'agit de faire labelliser par le rectorat des lycées franco-britanniques et, en échange de postes d'anglais supplémentaires dans les lycées, de construire les locaux adaptés, et de renforcer l'offre existante de formation en anglais pour les salariés. Le tout sans chiffres annoncés. Il affiche aussi une baisse de 5 % de la rémunération des élus. Ce qui ne l'empêche pas, pour compenser la fin de son cumul des mandats, de s'auto-augmenter à Saint-Quentin de 2 400 euros, dont il n'est plus maire, mais toujours conseiller municipal, et président de l'agglo.
Chômage et illetrisme
Et bien sûr, il y a Proch'emploi, le numéro vert avec des salariés de la région au bout du fil, pour rapprocher les chômeurs des employeurs, et qui devait aboutir à 60 000 embauches en septembre. Xavier Bertrand estimait que 120 000 emplois étaient non pourvus, confondant emplois vacants et intentions d'embauche (lire Libération du 7 octobre). Fin septembre, environ 50 000 personnes avaient retrouvé une activité, dont 40 % en formation. Saintignon : «Faire 60 000 n'est pas difficile puisque, chaque année, plus de 200 000 personnes sont embauchées dans la région.» Le contexte est dur. La nouvelle région est championne de France métropolitaine du chômage, à 12 %. En tête aussi pour l'illettrisme, à 11 %, et des plans sociaux menacent encore dans l'industrie.
Le vote FN, lui, a grimpé à 42,2 % pour Marine Le Pen au second tour, ce qui lui offre une tribune dans l'hémicycle régional avec 54 sièges, un record en France. Remuante, et procédurière, elle est sa seule opposition. Il avait fallu un front républicain, le retrait du candidat socialiste et les voix de gauche, pour faire gagner le candidat de la droite. Xavier Bertrand a remercié «les électeurs de gauche» au soir du second tour. Depuis, il parle avec l'ancien candidat socialiste, Pierre de Saintignon, et le communiste Fabien Roussel (5,32 % au premier tour), patron des communistes du Nord, avant chaque séance plénière. Rien d'une idylle, se défendent les deux opposants. «Il n'est pas devenu un homme de gauche, je ne suis pas devenu un homme de droite», relativise le socialiste. Il signale quand même que quand il envoie un SMS à Bertrand, la réponse tombe «dans la minute». Roussel : «Il se rend accessible. On discute, on se parle. Je ne peux pas dire le contraire.» Le communiste relaie auprès de l'exécutif la voix des syndicats qui détectent les dangers de plans sociaux, mais fulmine contre le transfert à la région de deux lignes de trains Intercités qui menaçaient de disparaître : le Paris-Boulogne et le Paris-Cambrai. «La Région participe à la casse de la SNCF.»
Dans un contexte d'économies et d'une dotation de l'Etat en baisse, Saintignon approuve l'action de la Région sur plusieurs sujets - le partenariat de formation Région-Facebook pour les PME par exemple -, mais se dit aussi «en alerte» sur d'autres. Comme la baisse du Fonds de participation des habitants, pour financer des projets ponctuels de faibles coûts, «moins 60 %» à Lille-Hellemmes. «On a dû passer de 370 projets à 240 en 2016», déplore Meriem Amouri, responsable du fonds lillois. L'enveloppe permet, par exemple, des repas de quartiers à Noël, des prêts d'instruments de musique à une prof de violoncelle qui donne des cours particuliers bénévoles à des enfants démunis, ou la prévention du cancer avec Octobre rose. «Du terre à terre, qui met les gens en relation», explique Meriem Amouri.
Brouillard
Autre inquiétude socialiste : une menace sur un programme de lutte contre l'illettrisme. «Ce qui existe continue, mais ça va évoluer», répond-on, dans le flou, à la région. Sandrine Rousseau (EE-LV, 4,83 %) - qui, elle, n'a pas été conviée à discuter avec l'exécutif - s'inquiète du «plan social silencieux» que provoquent les baisses de subventions. Personne n'a encore de chiffre global, mais la Maison régionale de l'environnement et des solidarités à Lille, qui abrite 117 associations, annonce 8 équivalents temps plein supprimés, dont 6 par les baisses de l'actuelle majorité. Au Groupe ornithologique du Nord (Gon), on ajoute que «2,5 équivalents temps plein sont menacés. On a six mois de visibilité». Et c'est le brouillard pour la plupart des assos en 2017, surtout celles que la Région qualifie d'«antichasse». «Il faut qu'elles acceptent de mettre en œuvre une politique qui corresponde à nos priorités. On refuse que la nature soit mise sous cloche», explique le cabinet du président. Les intéressées réfutent le terme «antichasse» et demandent à être reçues. Par qui ? Frédéric Nihous, l'ancien candidat Chasse, pêche, nature et tradition à la présidentielle de 2007, et Jean-Michel Taccoen, vice-président de la fédération des chasseurs du Pas-de-Calais, tous deux élus de la majorité ? Certaines assos n'ont toujours pas de réponse à des demandes déposées fin 2015. A Noailles, Xavier Bertrand expliquait qu'il aimait donner des réponses claires. «Je tiens beaucoup à ce principe. Oui ou non, mais qu'on réponde.»